Les propos du président tunisien et les actes de barbarie commis contre les Africains en provenance du sud du Sahara suite à ces propos devraient nous amener à mener une profonde réflexion sur nous-mêmes et sur notre rapport avec les autres, et singulièrement avec nos frères d’Afrique du nord. Il y a ce que l’histoire a fait et nous a légués, il y a ce présent que cette histoire a façonné, mais il y a surtout cet avenir que nous devons construire, tous seuls, ou avec les autres. L’histoire a fait qu’une partie de la population d’Afrique subsaharienne a été déportée en Afrique du nord, au Moyen-Orient, en Asie et aux Amériques pour y servir comme esclaves. Nous ne sommes pas fiers de cette partie de notre histoire et elle nous fait mal. Nous, peuples noirs d’Afrique, n’avons pas d’autre choix que de sortir de cette histoire. En sortir ne veut pas dire l’effacer, ce qui serait impossible, ou l’oublier, ce qui serait impardonnable. En sortir, c’est construire un présent et un avenir radieux, qui nous rendent fiers de nous. Certains pays d’Asie, notamment le Japon, l’Inde et la Chine, ont eu des histoires douloureuses avec des pays occidentaux. Ils ne les ont pas oubliées. Mais ils en sont sortis en construisant des pays aux économies si solides que c’est le reste du monde qui dépend désormais d’eux. Ils n’ont pas passé leur temps à pleurnicher, ni à jeter des bombes dans les pays qui les avaient dominés. Ils ont assumé leurs identités, leurs cultures, leurs histoires, se sont mis résolument au travail, avec acharnement, en coopérant même avec les pays qui les avaient dominés, et aujourd’hui ce sont eux qui dans bien de domaines, ont pris le dessus. Ils ne se sont pas laissés emporter par les émotions, mais ont écouté leurs raisons. Seulement, ils n’ont plus accepté la moindre discrimination ou le moindre manque de respect à leur égard.
Quel est notre problème à nous ? Nous aimons dire qu’au moment de nos indépendances, nous étions au même niveau économique que des pays comme la Corée du sud, la Malaisie, les pays du Maghreb, et à bien des égards, la Chine et l’Inde étaient plus arriérées que nous. Aujourd’hui combien de travailleurs émigrés du Maghreb comptons-nous dans nos pays ? Combien d’étudiants de ces pays sont dans nos universités, combien de citoyens de ces pays viennent se soigner chez nous, ou simplement visiter nos pays ? Que s’est-il donc passé ? D’où vient-il qu’ils nous méprisent tant ? C’est parce que nous n’avons rien fait pour mériter leur respect. Si nous avions travaillé à construire nos pays avec un peu plus de sérieux, nous n’en serions pas là. Qu’est-ce que des pays comme la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Congo ou le Nigeria peuvent avoir à envier à des pays tels que le Maroc ou la Tunisie au niveau des ressources naturelles ? Rien. Mais qui a renoncé à son identité culturelle et spirituelle pour essayer de singer l’autre ? Qui va étudier ou se soigner chez l’autre ? Qui va mendier chez l’autre ? Chaque fois que je vais au Maroc ou en Tunisie et que je vois des jeunes Ivoiriens en bonne santé en train de mendier dans les rues des grandes villes, ou tentant de franchir coûte que coûte les barrières de Melilla et Ceuta en essuyant les coups de matraque des policiers, j’ai à la fois honte et pitié pour mon pays.
Le racisme, disions-nous, tient beaucoup de l’histoire et de l’idéologie qui a fondé cette histoire. Mais il tient aussi des conditions sociales. Un texte tiré du livre sacré d’une religion a été interprété dans le sens d’une malédiction de l’homme noir par le créateur du monde. De ce fait, l’Africain noir a toujours été considéré comme un sous-homme, un esclave par essence, par les peuples se référant à cette religion. Jusqu’à nos jours. Et, avouons-le, l’Africain lui-même n’a pas fait grand’chose pour battre en brèche cette idée que les autres ont de lui. A ce racisme forgé par l’idéologie s’est ajouté celui basé sur les conditions sociales. Jusqu’à ce jour, les peuples les plus pauvres sont les Africains. Et les Africains semblent s’y complaire. Eternels mendiants, incapables de se prendre en charge ou d’exploiter leurs richesses, ils sont à la remorque du reste du monde, essuyant leurs mépris et leurs crachats sans sourciller.
Il est temps pour nous de travailler à retrouver notre dignité.
Par Venance Konan