Laurent Gbagbo, l’ancien président de la Côte d’Ivoire, est enfin rentré en Côte d’Ivoire le 17 juin 2021. Après avoir passé dix ans entre les mains de la Cour pénale internationale (CPI) qui l’a jugé et acquitté. Un retour qu’il a dû forcer face aux réticences et autres tergiversations du régime d’Alassane Ouattara au pouvoir. Mais l’homme politique qui a retrouvé la terre de ses ancêtres récemment l’a fait avec un esprit résolument tourné vers la réconciliation.
Le retour tant attendu de Laurent Gbagbo, l’ancien président de la Côte d’Ivoire et leader historique du Front populaire ivoirien (FPI) ne s’est pas fait discrètement ainsi que le régime du Président Alassane Ouattara l’aurait souhaité. Bien au contraire, l’ex-pensionnaire de la Cour pénale internationale (CPI) a fait carton plein, pour ainsi dire, partout où il est passé. Sa popularité n’a donc pas été démentie. C’est même comme si elle s’était bonifiée davantage.
Aussitôt rentré, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ont eu leur premier tête-à-tête. Au cours de cet entretien, les deux anciens adversaires ont échangé sur les voies et moyens d’entamer une décrispation sociopolitique indispensable en prélude d’une réconciliation des Ivoiriens, suite à la crise postélectorale. Laquelle avait tourné en l’avantage du locataire du Palais présidentiel avec le soutien de la France au premier plan. La suite, on la connaît. S’exprimant au sortir de cette rencontre le 17 juillet 2021, Laurent Gbagbo a déclaré :
« Je suis venu rendre visite au Président Alassane Ouattara. On a parlé fraternellement, amicalement et je suis très heureux de cette discussion que nous avons eue, je suis très heureux parce que très détendue, et je suis fier de ça...et je suis fier de ça, j’ai souhaité que de temps en temps, on puisse avoir ce genre d’entretiens qui détendent l’atmosphère dans le pays...En ce qui me concerne, j’ai surtout parlé avec le Président, j’ai insisté sur les prisonniers qui ont été arrêtés au moment de la crise de 2010-2011 et qui sont encore en prison. Alors j’ai dit au Président et vous serez d’accord avec moi, j’étais leur chef de file et moi je suis dehors aujourd’hui et eux ils sont en prison. J’aimerais que le Président fasse tout ce qu’il peut pour les libérer. Le Président a les moyens mais c’est lui qui juge l’opportunité...des moyens et des moments pour ces libérations. Donc j’ai parlé de ça. A part ça, on a parlé de la Côte d’Ivoire qui doit aller de l’avant, qui doit marcher, qui doit se parler, qui doit discuter...n’est-ce pas Alassane, voilà ! Enfin excusez-moi n’est-ce pas Monsieur le Président ! Voilà !».
Pour Christian Gambotti, Agrégé de l’Université et Président du Think Tank Afrique & Partage : « En revenant en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo a-t-il tiré les leçons de cette décennie tragique qui se termine par son incarcération à la CPI ? Sûrement. Sa rencontre avec Ouattara, le 27 juillet 2021, est la marque d’une indéniable volonté d’apaisement et le signe tout aussi fort qu’il reconnaît la légitimité du président réélu en 2020. Mais, cette rencontre n’est pas, pour Laurent Gbagbo, le signe d’un renoncement à la politique ».
Tous ceux qui croyaient que Laurent Gbagbo n’est plus bon que pour prendre sa retraite politique devraient se raviser. Le FPI a certes connu des moments difficiles avec des départs comme celui de l’ancien Président de l’Assemblée nationale Mamadou Koulibaly ou encore la dissidence représentée par l’aile de l’ancien Premier ministre Pascal Affi N’guessan.
Le 9 août 2021, au Palais de la culture d’Abidjan, l’ancien Président Gbagbo a rencontré les instances du FPI toutes tendances confondues. Devant le Comité central extraordinaire, Laurent Gbagbo a été on ne peut plus clair : « Quand tu marches et que tu rencontres une petite pierre, tu la contournes ou tu la sautes (…) Je propose au comité central de laisser Affi avec l’enveloppe, nous allons créer notre parti (…)». Il a donc décidé de créer un nouveau parti politique. Cette annonce a été faite alors que l’ex-Première dame Simone Gbagbo avec laquelle Laurent Gbago a consacré son divorce se trouvait dans la salle. Il n’en fallait pas plus pour certains de parler d’un second divorce. Mais pour certains proches de Laurent Gbagbo, il ne faudrait pas mélanger affaire privée et affaire publique. Ils affirment que Simone Gbagbo et ses partisans seront bel et bien associés à la création de ce nouveau parti.
A en croire le journaliste Venance Konan reconnu pour être est l’un des ardents défenseurs du Président Alassane Ouattara : « Affi aura des personnes avec lui. Il y en a beaucoup au FPI qui ne croient plus en Laurent Gbagbo. Parce qu’il a échoué après tout, il est usé, ses frasques font peut-être rire mais ne dessinent pas une ligne politique, et parce qu’eux aussi ont évolué et aspirent à autre chose de plus sérieux. Mais on imagine difficilement l’ouest de la Côte d’Ivoire suivre Affi en bloc comme il l’avait fait pour Gbagbo en son temps. Il lui faudra miser sur d’autres entités sociologiques, au-delà de son minuscule Moronou qui ne lui est d’ailleurs pas acquis en bloc. Ce n’est pas gagné d’avance ».
Les détracteurs de Laurent Gbagbo ont tôt fait de mettre en exergue le fait qu’il n’a pas pu se réconcilier avec Pascal Affi N’guessan et Simone Gbagbo pour montrer qu’il ne faut rien attendre de lui. Le retour de l’ancien prisonnier de la CPI à Sheveningen suscite bien des interrogations. Bien malin qui pourrait prédire ce qu’il fera. Pour ses adversaires, il aura suscité beaucoup d’espoir pour rien. Et c’est déjà de bonne guerre.
Attendu comme le « messie » de la réconciliation des Ivoiriens, certains analystes pensent que le vieux routard de la politique ivoirienne ne serait pas capable d’accomplir cette mission. Mais pour ceux qui connaissent Laurent Gbagbo, il ne faut jamais le sous-estimer. Le « Boulanger » ainsi qu’il fut surnommé a peut-être encore de la bonne farine dans son sac. Reste que, comme à son habitude, il choisira le bon moment pour fabriquer le bon pain de la réconciliation que les Ivoiriens pourraient se partager. Comme un vrai « messie » de la réconciliation tant attendue par tous les Ivoiriens.
Par Elvis Koffi