Blaise Compaoré a pris le pouvoir un mémorable 15 octobre 1987. Et il aura signé son départ du pouvoir le même mois, mais 15 jours après cet inoubliable anniversaire pour beaucoup d’Africains : celui de l’assassinat de son ami et compagnon d’armes, Thomas Sankara dit « Thom Sank, le Capitaine-Peuple ».
Le dorénavant ex-président Blaise Compaoré est né à Ouagadougou le 3 février 1951. Mais il est originaire de Ziniaré, une petite ville sise au Nord de la capitale du Burkina Faso. Fils de Bila Maurice Compaoré et de Tiga Thérèse Bougouma, il est l’aîné d’une famille de sept enfants. Comme nombre de citoyens des anciennes colonies ayant servi sous les drapeaux français, son père une fois démobilisé en 1947 devient Garde républicain au Burkina, alors Haute-Volta. C’est entre Ziniaré et Boromo que le jeune Blaise Compaoré va grandir.
A Ziniaré, il entame ses études primaires, à l’école Guilongou. Une fois terminées, il intègre le Collège catholique Saint-Joseph de Fada N’Gourma, vers la frontière Sud-Est avec le Bénin. Le second cycle du collège, il le débute à l’Ecole normale de Ouagadougou. Sans que cela soit vérifié, d’aucuns disent qu’il fut l’un des initiateurs du mouvement collégien de 1971. En guise de punition, il est donc enrôlé d’office dans le contingent spécial de l’Armée. Toujours est-il que, quand Blaise Compaoré décroche son BAC D en 1972, il est déjà dans l’armée. Son rêve d’enfant devient réalité.
Le militaire
Peu après son entrée dans l’armée, Blaise Compaoré a la chance d’être affecté à la sécurité du domicile du président Sangoulé Lamizana. Ensuite, il réussit le concours d’entrée à l’Ecole militaire Inter-armes (EMIA) de Yaoundé au Cameroun pour sa première formation à l’étranger en 1973. Tout comme son ami Thomas Sankara. Puis il fera de nombreuses autres formations en Europe notamment: spécialisation à l’Ecole d’infanterie de Montpellier, instruction commando à Montlouis, à Collioures en France et à Munsinghem en Allemagne, stage au sein des Troupes aéroportées de France, etc.
En vérité, la prise de conscience politique de l’homme naît à Madagascar, lorsqu’ils y suivent leur formation à l’Académie militaire d’Antsirabé avec son ami Thomas Sankara. Ce dernier est marxisant et va influencer Blaise Compaoré avec ses idées progressistes sur l’avenir de leur pays. C’est ensemble, avec Boukary Kaboré dit le « Lion du Boulkiendé », Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo qu’ils vont créer le ROC (Regroupement des officiers communistes) une fois de retour au pays.
Blaise Compaoré aura été d’abord affecté la Compagnie d’intervention aéroportée (CIA) de Bobo-Dioulasso en 1978, avant d’occuper en 1980 le poste d’Aide de camp du chef d’Etat-major des Armées, et en 1981 celui de Chef du Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Pô. Après un stage à Pau en France en 1982. Et c’est cette année-là qu’il devint capitaine, et qu’il restera d’ailleurs jusqu’à son entrée en politique. Faut-il le souligner, son ami Thomas Sankara le précède à Pô en 1976 en tant que Commandant du CNEC.
De l’armée à la politique
Sous le Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN) du Colonel Saye Zerbo qui succède à la IIIe République en 1980, Blaise Compaoré fait partie intégrante des jeunes officiers. Son ami Thomas Sankara aussi. Mais ils vont vite marquer leurs divergences d’avec le CMRPN. Et ils vont le faire savoir en claquant la porte. Arrêtés le 14 mai 1982 et mis en résidence surveillée, leur salut ne viendra que le 7 novembre de la même année quand le Conseil de Salut du peuple (CSP) s’empare du pouvoir. Mais ce dernier apparaît, à quelque chose près, comme un CMRPN bis. Et derechef, Blaise Compaoré et son ami Thomas Sankara ne s’y retrouvent pas.
Le 17 mai 1983 marque une date charnière quant à l’ascension des jeunes officiers progressistes. Le Capitaine Thomas Sankara, devenu Premier ministre depuis quatre mois, le Commandant Jean-Baptiste Boukary Lingani sont arrêtés. Blaise Compaoré, quant à lui, réussit à échapper et à rejoindre le Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Pô. C’est donc de leur camp d’origine qu’il décide de marcher sur Ouagadougou pour libérer ses compagnons d’armes aux arrêts le 4 août 1983. C’est la fameuse « Révolution du 4 août » dont le stade de Ouagadougou porte aujourd’hui le nom, en hommage. La popularité de son ami et ex-Premier ministre Thomas Sankara est alors à son zénith. Et le peuple du Burkina, dénommé encore Haute Volta s’en mêle. La libération des prisonniers est acquise grâce à l’action concertée des commandos de Pô et des habitants de Ouagadougou. Ainsi naît le Conseil national de la Révolution (CNR) qui sera présidé par le Capitaine Thomas Sankara, et par la même occasion président de la République. B
laise Compaoré entre au gouvernement qui en est issu comme ministre d’Etat délégué à la Présidence, et ministre d’Etat chargé de la Justice.
Le président
Le 15 octobre 1987, c’est toute l’Afrique qui est consternée par l’annonce du coup d’Etat au cours duquel le président Thomas Sankara est assassiné. Encore plus consternée quand elle apprend que l’auteur n’est autre que son propre et inséparable ami et frère d’armes, Blaise Compaoré. Thomas Sankara n’est non seulement inhumé à la va vite, mais sans obsèques également. Comme si cela ne suffit pas s’ensuit une véritable campagne de dénigrement : il est traité de tous les noms.
A la suite de Thomas Sankara, les premières purges vont s’abattre sur les têtes de Henri Zongo et Jean-Baptiste Lingani. Accusés de tentative de coup d’Etat, ils seront exécutés après un procès expéditif. Blaise Compaoré devient l’initiateur de la « rectification » avec le Front populaire (FP), au lendemain de l’assassinat de Thomas Sankara, le soi-disant « déviationniste ».
En 1991, il se fait élire à la présidence de la République avec 25% des voix seulement. Après avoir refusé l’organisation d’une Conférence des forces vives de la nation burkinabé. Au motif que « la Conférence nationale » inventé par le Bénin pour passer du parti unique au pluralisme démocratique n’est pas « une camisole toute faite ».
Sous son régime, Norbert Zongo est assassiné le 13 décembre 1998, avec ses trois accompagnateurs, à savoir Ernest Zongo, Blaise Ilboudo, et Ablassé Nikiéma. Le journaliste enquête sur la mort mystérieuse de David Ouedraogo, le chauffeur de François Compaoré, le frère du président burkinabè Blaise Compaoré. Mais l’enquête officielle sur cette mort douteuse du journaliste se conclut par un non-lieu. Non sans susciter l’ire des confrères, des proches et des parents des victimes.
Après deux septennats consécutifs, Blaise Compaoré ne se gêne pas outre mesure pour se porter candidat en 2005. L’opposition a beau lui démontrer l’inconstitutionnalité de sa démarche, il n’en a cure. Par une extraordinaire acrobatie constitutionnelle qui réduit le mandat présidentiel à un quinquennat renouvelable une fois, il se fait élire avec un score à la soviétique : 80,35 % des voix. Mais Blaise Compaoré qui a été réélu pour son dernier mandat le 25 novembre 2010 avec 80,15 % s’acharne à vouloir modifier l´article 37 qui limite le nombre de mandats présidentiels. Au risque de susciter un conflit sociopolitique grave dans son pays. Le comble pour un médiateur et homme de paix. L’image d’Epinal d’un président à la tête d’un pays stable et médiateur omnipotent dans divers conflits n’est que pour la consommation extérieure. Les Africains eux, pour leur grande majorité, ont toujours vu en Blaise Compaoré l’homme-lige de la France.
Le 21 février 2011, Justin Zongo, un élève de Koudougou dont la mort dans le poste de police de Koudougou est imputée à des policiers met le feu aux poudres. La police qui se défend de ne pas en être responsable et indique qu’il est mort d’une méningite mais commet la maladresse de tirer sur les manifestants mécontents du drame. En réponse, ils mettent à feu le gouvernorat de la province. Comme une traînée, les manifestations s’étendent et reçoivent le soutien de tous les acteurs de la société civile. Et la répression policière fait sept morts dans l’ensemble des villes touchées.
Les mutineries militaires qui suivront en avril et qui ont failli emporter le régime de Blaise Compaoré ne sont en fait que le prolongement du malaise sociopolitique profond qui couve dans le pays depuis. Face à la révolte des militaires dont certains de sa propre garde présidentielle, Blaise Campaoré prend la fuite dans la nuit, pour se réfugier d’abord dans l’ancien palais présidentiel à Ouagadougou, et ensuite chez lui à Ziniaré. Quand il reprend le contrôle, il s’attribue désormais le ministère de la Défense et remanie son gouvernement en grande partie. En nommant le journaliste et actuel Premier ministre, Luc-Adolphe Tiao, jusque-là ambassadeur du Burkina à Paris. Une grande purge s’ensuit au sein de l’armée et un renouvellement de toute la chaîne de commandement.
La fin d’un règne
Lorsque Blaise Compaoré manifeste sa volonté de se maintenir au pouvoir, des dissidences se font jour même au sein de son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Ils ont pour noms : Zéphirin Diabré, Simon Compaoré, Salif Diallo pour ne citer que ceux-là. Ils créent leur propre parti. Qu’à cela ne tienne l’avertissement ne suffit pas. Il veut compter avec le temps. Suite à l’échec du dialogue politique qu’il a initié avec son opposition dirigée par Zéphirin Diabré, Blaise Compaoré veut s’obstiner à réviser la Constitution coûte que coûte pour se représenter à la présidentielle de 2015. Le 28 octobre, une déferlante humaine de plusieurs dizaines de milliers de manifestants de l’opposition envahit les rues de Ouagadougou pour dire non à la révision de l’article 37 de la Constitution. Lequel article limite les mandats présidentiels à deux, et empêche du coup Blaise Compaoré de s’éterniser au pouvoir. Zéphirin Diabré prévient : « ça passe ou ça casse… ». Mais il maintient le vote prévu le 30 octobre. Sa majorité est même déjà acquise à l’Assemblée nationale, avec le ralliement de dernière minute de l’ADF/RDA. C’est ce jour-là, que tout bascule. Les manifestants de l’opposition envahissent, sans résistance particulière, l’Assemblée nationale qu’ils saccagent et brûlent. Des maisons de députés au pouvoir aussi. La situation dégénère et l’on entend des coups de feu sporadiques çà et là. Car les manifestants menacent de marcher sur Kosyam, le palais présidentiel de Blaise Compaoré. La connexion Internet est interrompue. Mais les lignes téléphoniques ne sont pas coupées. L’aéroport est fermé et des vols détournés à destination de Cotonou.
Dans cette confusion, les manifestants appellent le très populaire Général Kouamé Lougué à prendre ses responsabilités pour éviter le chaos. Ce dernier s’entretient avec le Moro Naba, l’Empereur des Mossi et l’opposition. Des concertations et autres tractations politiques et diplomatiques s’enchaînent. Dans la soirée, le Chef d’Etat-major de l’Armée, le Général Honoré Traoré déclare la dissolution de l’Assemblée nationale, du gouvernement ainsi que l’instauration d’un couvre-feu de …Et il annonce une transition de 12 mois sans préciser qui la présidera. Plus tard, une intervention de Blaise Compaoré lui-même vient en rajouter à la confusion. « J’ai entendu le message, je l’ai compris et pris la juste mesure des fortes aspirations de changement. Je reste disponible à ouvrir avec vous des pourparlers pour une période de transition à l’issue de laquelle je transmettrai le pouvoir au président démocratiquement élu. En vue du rétablissement de ce dialogue, j’ai décidé de retirer le projet de loi contesté et de procéder à son annulation. (…) Pour permettre à chacune des parties, l’opposition politique, la société civile et la majorité de renouer le fil du dialogue dans la sérénité, je décide ce qui suit : le gouvernement est dissous ; à compter de ce jour, 30 octobre, je déclare annulé l’état de siège sur toute l’étendue du territoire national ».
Quoi qu’il en soit, et comme le disait souvent Thomas Sankara : « quand on joue, on gagne ou on perd, ça ne peut pas être les deux à la fois ». Blaise Compaoré a joué son dernier jeu, et il l’a perdu. Le reste n’était plus qu’une question de temps… Le 31 octobre, devant la persistance de l’opposition à réclamer le départ pur et simple de Blaise Compaoré, le Lieutenant-colonel Zida de l’Etat-major de l’armée est venu à la Place de la Nation déclarer : « Compaoré n’est plus au pouvoir ». Une déclaration que les manifestants de l’opposition qui avaient pris d’assaut la Place de la Nation, rebaptisée « Place de la Révolution » à l’occasion, ont accueilli par une liesse populaire. Ainsi prend fin le règne de 27 ans au pouvoir de Blaise Compaoré.
Depuis, Blaise Compaoré s’est réfugié, pour ainsi dire, en Côte d’Ivoire dont il a pris la nationalité. Même s’il n’a de cesse d’exprimer son souhait de rentrer définitivement chez lui.
Par Marcus Boni Teiga