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TRIBUNE Vous avez dit mal acquis ?

Depuis quelques années, les relations entre la France et certains pays africains sont gâchées par ce que l’on appelle l’affaire des « biens mal acquis. » De quoi s’agit-il ? Des Organisations non gouvernementales (ONG) françaises ont intenté des actions en justice contre des chefs d’Etat africains, ou leurs rejetons, qu’ils accusent d’avoir détourné l’argent qui aurait dû contribuer à développer leurs pays. Cet argent aurait servi surtout à acquérir des biens en France tels que des immeubles et des voitures de luxe, des tableaux de maitres, etc. Le fils du président de la Guinée Equatoriale, par ailleurs vice-président de ce pays, a ainsi été condamné en France et un immeuble de luxe, ainsi que d’autres biens qu’il possède à Paris ont été saisis. Les deux autres pays dans le collimateur des ONG et des juges français sont le Congo Brazzaville et le Gabon. Depuis quelque temps la radio française RFI nous gratifie d’un feuilleton quotidien sur le pillage à grande échelle de la République Démocratique du Congo (RDC) par ses élites et nul doute que celles-ci seront bientôt dans de beaux draps. Ou sales draps si l’on veut.

Loin, très loin de moi l’idée de défendre des dirigeants africains qui pillent leurs pays dont les populations vivent et meurent dans la misère. Au contraire je félicite les ONG qui les traquent et les juges qui les condamnent. Mais j’aimerais cependant vraiment savoir si les dirigeants qui pillent leurs pays pour investir en Europe et surtout en France ne se retrouvent qu’en Afrique. Nous dira-t-on que les fortunes que les rois, émirs, princes, neveux et cousins de princes arabes du Golfe, ce que les oligarques russes gaspillent en Europe et notamment en France, et en Grande Bretagne sont des biens parfaitement bien acquis ? Ignore-t-on en Europe que dans certains des pays arabes du Golfe on découpe en petits morceaux les journalistes qui s’aventurent à critiquer les régimes et leurs turpitudes, et que dans d’autres, qui sont parfois les mêmes, on coupe tout simplement la tête à ceux qui pensent différemment ? Ignore-t-on les cohortes de travailleurs émigrés honteusement exploités pratiquement comme des esclaves dans certains de ces pays ? Alors, pourquoi est-ce sur nos dictateurs kleptomanes que l’on s’acharne ?

Je crois que la différence de traitement réside dans le nombre d’avions Rafale, de porte-avions, de patrouilleurs, de sous-marins ou de systèmes radars que l’on achète à la France avec l’argent détourné. Il est important aussi d’acheter des équipes de football, genre Chelsea ou Paris Saint-Germain ou des chaînes d’hôtels ou de télévision et d’y investir des milliards et surtout payer très cher les joueurs de football. C’est très bon pour l’économie de ces pays. Si vous volez l’argent de votre pays pour aller seulement acheter des immeubles de luxe et faire la bamboula à Paris, sans acheter d’armement ou des équipes de football par milliards, vous risquez d’avoir des problèmes. Si vous avez beaucoup de milliards de dollars et que vous les dépensez intelligemment, c’est-à-dire dans les pays occidentaux de manière à faire tourner leurs économies, tous vos péchés vous seront pardonnés. Lorsque Kadhafi avait promis de signer des contrats de plusieurs milliards d’euros, il avait été autorisé à planter sa tente dans les jardins d’un palais de la république en France. Mais lorsqu’en fin de compte il a refusé de signer ces fameux contrats, vous avez tous vu ce qui lui est arrivé. On a découvert soudainement qu’il était un affreux dictateur qui massacrait son peuple. On l’a bombardé, traqué et sorti d’un trou pour l’embrocher jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Tout cela devrait nous servir de leçon. Lorsque nous volons l’argent de nos peuples pour aller le placer en Europe, nous contribuons évidemment à les rendre encore plus puissants, mais ne croyez pas qu’ils nous en seront reconnaissants. Que sont devenus les biens immobiliers que nos chefs d’antan tels que Mobutu, Bokassa ou Houphouët-Boigny avaient investis en France ? Ils sont définitivement perdus pour leurs pays. Un économiste asiatique avait écrit que lorsque les fruits de la corruption sont investis sur place, ils contribuent à développer ces pays. Mais lorsqu’ils sont investis ailleurs, ils appauvrissent les pays. Ne croyons surtout pas que la corruption n’existe pas dans les nouveaux pays émergents d’Asie. La différence avec nous est que le fruit des détournements est le plus souvent investi sur place. Il ne fait aucun doute que les millions de dollars volés à la RDC que nous révèle l’enquête menée par le consortium de journaux ont pris la route des grandes capitales européennes ou américaines. Depuis très longtemps, il semble que notre destin soit d’enrichir les pays déjà riches et d’appauvrir davantage nos pays déjà pauvres.

Par Venance Konan

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