Commençons par planter le décor. Les siècles derniers, un certain nombre de pays européens se sont lancés à la conquête du monde. Et tous les continents ont été l’objet de leur appétit de conquistadors. Pour ce qui nous concerne en Afrique, nous fûmes conquis essentiellement par la France et la Grande Bretagne, et dans une moindre mesure, par le Portugal, la Belgique, l’Espagne et l’Allemagne. L’aventure coloniale, comme le disait Aimé Césaire dans son « Discours sur le colonialisme » n’était ni « évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du droit », mais plutôt « le geste de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force, avec derrière l’ombre maléfique d’une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée, de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes. » Nos pays ont été colonisés pour que leurs richesses soient exploitées par et pour les colons. Au moment de la décolonisation, chaque ancien colonisateur s’est arrangé à sa manière pour garder toujours la main sur les anciennes colonies devenues indépendantes.
Le cas qui nous concerne est celui de la France avec ses anciennes colonies. Soixante ans après les indépendances, nos pays francophones sont encore largement contrôlés, sur le plan économique tout au moins, par la France, et les autres pays africains ne le sont pas moins par les autres grandes puissances économiques mondiales.
Aujourd’hui comme hier, il y a une course vers les richesses minières africaines, avec de nouveaux acteurs tels que la Chine, la Turquie et la Russie qui a remplacé l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) qui elle, cherchait plus à gagner l’Afrique sur le plan idéologique que sur le plan économique. Avec la Russie les choses sont bien différentes maintenant. Dans cette course, chacun utilise les arguments dont il dispose. La France avait la part la plus viandée dans les pays qu’elle avait colonisés. Mais ses concurrents veulent lui tailler des croupières dans son pré carré.
La France avait inventé les sommets avec les chefs d’Etat africains. Les autres ont fait la même chose. La France vient d’inventer le forum avec la société civile. Gageons que les autres vont inventer quelque chose du même genre. L’essentiel pour ces puissances est de maintenir ou d’étendre leur influence sur des Etats très faibles mais dotés de grandes richesses. Nos jérémiades n’y changeront rien. Le monde est perpétuellement en guerre économique dans laquelle on ne se gêne pas parfois pour faire des crocs-en-jambe à ses alliés, comme l’affaire des sous-marins australiens vient de le démonter. Les Australiens avaient signé un contrat de livraison de sous-marins avec la France. Mais les Etats-Unis ont fait pression sur les Australiens pour qu’ils rompent avec la France et signent un nouveau contrat avec eux. C’est ainsi. Continuons de nous plaindre de l’arrogance de la France, de son paternalisme, de son mépris, de ses bases militaires chez nous, de la marmite qui est sale, sans chercher à nous donner les moyens de prendre nous-mêmes notre destin en main et nous serons toujours les jouets de toutes les puissances. Ne nous leurrons pas. Dans la guerre économique, il n’y a pas des gentils et des méchants. C’est juste une question d’intérêt.
Je vous fais remarquer que la Corée du sud, le Japon, l’Allemagne et de nombreux autres pays européens ont des bases militaires américaines chez eux et personne ne met en doute leur indépendance. Qu’ont demandé nos jeunes qui ont discuté avec le président Macron ? Que l’on ne prononce plus les mots « aide » et « développement », que la France s’excuse pour la colonisation, etc. C’est comme lorsque l’on demande de ne plus dire « aveugle », mais plutôt « non voyant », et « malentendant » à la place de « sourd ». Qu’est-ce que cela change au fond ? Et pendant que nous demandons à la France d’enlever ses bases militaires chez nous, nous sommes furieux lorsqu’elle décide de redimensionner la force Barkhane, et dans la foulée nous lui demandons de financer notre démocratie. L’indépendance n’est-elle pas de se démocratiser tout seul ? Nous voulons que la France finance notre démocratie et nous ne voudrons pas plus tard qu’elle dise son mot sur la façon dont cette démocratie se déroule ? Nous sommes fâchés que la France n’arrive pas à chasser les djihadistes que nous-mêmes n’avons pas réussi à chasser, mais nous ne voulons pas qu’elle dise son opinion sur nos gouvernances ? Que voulons-nous finalement ? Nous ne voulons plus que l’on parle d’aide ? Très bien. Mais avons-nous pris les mesures qu’il faut pour nous passer de ce que l’on appelle aide ? Finalement, qu’est-ce que la rencontre de Montpellier a proposé concrètement pour rendre nos pays un peu plus indépendants sur le plan économique ? Ce n’est pas la France qui est paternaliste, c’est nous qui sommes infantiles.
Comprenons-nous par exemple que si nous nous mettions à consommer nos produits locaux au petit déjeuner au lieu du pain fait avec du blé et le beurre importé, nous contribuerons à rendre autonome nos paysans qui à terme se passeraient d’aide ? Avons-nous idée des milliards que nous dépensons chaque année pour acheter du blé que nous ne produisons pas, des habits que nous pouvons fabriquer nous-mêmes chez nous, à donner les très gros marchés à des multinationales étrangères alors que nos entreprises pourraient faire ce travail, à nous abonner à des chaînes de télévision étrangères… ? Soyons donc moins extravertis et apprenons à consommer ce que nous produisons. Ce sera un premier pas pour apprendre à nous passer de l’aide, et pas seulement sur un plan sémantique. Décolonisons nos esprits, arrêtons de chercher un bouc-émissaire pour tous nos échecs, ayons foi en nous et nous serons surpris de voir ce dont nous sommes capables.
Par Venance Konan