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TRIBUNE/ AFRIQUE : Le temps pour être démocrate

Venance Konan

La question est posée, lancinante. Elle revient dans toutes les conversations : l’Afrique est-elle prête pour la démocratie ? Eh oui ! Il faut dire que l’actualité de l’Afrique de l’ouest de ces derniers jours peut effectivement amener à se poser ce genre de question. Quatre coups d’Etat en 18 mois (le Mali seul en compte deux), plus celui avorté de Guinée-Bissau. Nous avons incriminé nos cultures et nos traditions, qui ne seraient pas compatibles avec la démocratie, du moins avec celle venue d’Europe, nos gouvernances qui ne seraient pas parmi les meilleures du monde, les djihadistes qui auraient sapé les fondements de nos Etats, les troisièmes mandats, etc. 

A y regarder de près, je ne crois pas que la culture y soit pour quelque chose. Parce que cette démocratie importée d’Europe marche bien dans plusieurs pays non européens et même africains. Par exemple l’Inde, qui est une mosaïque de peuples de toutes les couleurs et de toutes les religions a adopté cette forme de démocratie et s’en sort plutôt bien avec. On ne peut pas dire qu’elle l’avait dans sa culture ou son ADN. Tout comme le Japon, qui, à un moment donné de son histoire, a adopté le système imposé à lui par son vainqueur. Sur notre continent, nous avons l’Afrique du sud, la Namibie, le Botswana, l’île Maurice, les Seychelles, le Cap-Vert, qui sont toujours cités en exemple. Mais tout près de nous, nous avons le Ghana qui, après avoir connu un long cycle de coups d’Etat, fait aujourd’hui figure de modèle en matière de démocratie. On me dira sans doute pourquoi je ne cite pas la Côte d’Ivoire parmi les bons élèves de la démocratie. C’est parce que nous avons encore du mal à asseoir notre démocratie. Car, pour bâtir une démocratie, il faut des démocrates. Et nous n’en avons pas encore suffisamment. Souvenons-nous de tout ce qui fut inventé à une certaine époque pour écarter de la course à la présidentielle un homme qui avait été Premier ministre, qui avait assuré l’intérim du président de la République. Rappelez-vous qu’en 2000, lors de l’élection présidentielle, on écarta les candidats des deux plus importants partis politiques du pays. Laurent Gbagbo, le vainqueur de cette élection a pu prétendre être arrivé au pouvoir par la voie démocratique, mais il sait pertinemment qu’il n’en est rien du tout. En 2010, tous les candidats purent se présenter et l’on loua l’organisation du scrutin. Mais à l’arrivée, le perdant refusa de reconnaître sa défaite, plongeant ainsi le pays dans la guerre. En 2020, les opposants crurent tenir le bon bout en organisant la terreur dans certaines régions du pays et en créant un organe baptisé Conseil nationale de transition, dans l’espoir que quelqu’un allait organiser un coup d’Etat. Vous me direz « et le président qui avait brigué un troisième mandat non prévu dans la constitution ? » Je vous répondrai que la démocratie consiste aussi à respecter les institutions et leurs décisions. Et surtout, personne de représentatif n’avait été écarté à cette élection. Si vous voulez me ramener à Yao-Ndré, ma réponse est qu’en 2010 l’instance chargée de certifier les résultats de l’élection en dernier ressort était le représentant du Secrétaire général des Nations Unies en Côte d’Ivoire. Et cela avait été décidé de manière consensuelle. La réalité est là, toute crue. Nous n’avons pas de démocrates pour bâtir une démocratie. Et lorsque j’écoute les propos tenus par Laurent Gbagbo ces derniers jours, j’ai peur. Il voit tout en termes de combat, d’affrontements. Mon sentiment est que pour notre opposition, la prochaine élection est une revanche à prendre, c’est-à-dire une victoire à avoir à tous les prix, y compris en utilisant la violence.

Alors, s’il faut conclure, je dirais que l’Afrique n’est pas immature pour la démocratie. Il n’y a pas d’âge pour être mûr pour la démocratie. Les pays dont les habitants et la classe politique ont voulu bâtir des démocraties y sont parvenus. Parce qu’ils l’ont juste voulu. Citons Pascal Bruckner qui écrit ces lignes dans son livre « les sanglots de l’homme blanc » : « la démocratie n’est pas un état miraculeux qu’on pourrait atteindre une fois obtenu un PNB élevé par habitant : car elle commence toujours par elle-même et c’est pourquoi, comme on apprend à marcher en marchant, on apprend à respecter les droits démocratiques en les respectant. C’est une pétition de principe : la démocratie se construit chaque jour, patiemment, par petits pas et conquêtes minuscules, comme une éducation à la liberté, et il n’y a à attendre le bon moment où les peuples seraient enfin mûrs. »

Par Venance Konan

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