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TCHAD - DIALOGUE NATIONAL INCLUSIF OU CNIS : Flash sur les acteurs en présence

Le Tchad est un pays atypique, demeuré jusqu'à présent territoire militaire d'Outre-Mer par la France, donc fortement militarisé et violenté, disputé âprement par les velléités hégémoniques voisins, très vaste et disparate pour faciliter l'émergence d'une vraie volonté de vivre ensemble, etc. 
Cette introduction devrait nous éviter de refaire l'histoire détaillée de chaque composante sociologique qui forme le Peuple tchadien depuis 1958. Nous allons donc capitaliser l'existant dans son état le plus proche de la réalité. 
En 2021, dans l'attente d'un rendez-vous national des acteurs publics tchadiens, qui sont-ils ?

Le Pouvoir en place
Il est détenu depuis décembre 1990, par un noyau politico-militaire vainqueur de toutes les guéguerres ayant endeuillé le pays l Ce noyau contrôle les FDS, une grande partie des affaires économiques et dispose du soutien renouvelé de la France, même après le décès brutal de son champion, le MIDI. 
Autour du cercle restreint du pouvoir, le MPS parti du MIDI, est le levier politique de contrôle pour pérenniser ce pouvoir. Ses réseaux s'étendent partout, au point de se confondre parfois avec les institutions officielles. Sa survie actuelle se joue sur : 1) la capacité des héritiers naturels du MIDI de continuer de l'imposer comme parti-Etat, et 2) son financement pérenne. 

La Majorité politique
Autour du MPS, un autre cercle d'alliés est formé par : 1) les alliés représentatifs qui sont des partis politiques ou des cercles bien organisés qui reçoivent, selon leur importance ou les circonstances dans l'alliance, une portion des privilèges du pouvoir,, 2) une kyrielle d'acteurs et de groupes préfabriqués pour les besoins de faire le nombre ou de troubler les adversaires les plus coriaces. 

L'Opposition politique civile
En face de ce qu'on appelle "la majorité politique", il y a le label "opposition civile". Son noyau dur est composé de partis issus des grands clivages régionaux et/ou nord-sud de notre histoire récente. Bien qu'ayant de nombreux cadres en leur sein, ces partis politiques de l'opposition civile peinent à fonctionner démocratiquement. Ce qui réduit leurs apports au changement des mentalités des élites. Ils sont rompus dans la critique mais ont peu convaincu dans les propositions, au point souvent de rejoindre le pouvoir dans le vote des lois. En plus, en prétendant "défendre la Constitution (laquelle?)", ces partis sont restés présentes dans les institutions mises en place unilatéralement par le pouvoir et dont ils avaient pourtant contesté la légalité !
Une autre kyrielle de petits partis plutôt alimentaires se greffent à cette opposition civile, pour basculer dans l'autre camp au gré des propositions alléchantes, au nom de la réal politique. 

La Société civile militante
À côté de la "classe politique" décrite ci-dessus, la société civile est devenue une catégorie d'acteurs publics très convoitée. D'abord composée au départ des années 90 par des ADH et syndicats crédibles, la société civile est devenue aujourd'hui un fourre-tout, à l'image de la société tchadienne. À cause des financements et de la sympathie des partenaires envers le label "société civile", cette dernière s'est profondément métamorphosée et alignée sur les grands clivages nationaux et antagonismes entretenus par les forces politiques des deux camps, pouvoir et opposition civile. 

Ainsi, il ne faut pas se méprendre sur les étiquettes mais considérer plutôt les fréquentations, les actes posés et les prises de position, pour situer chaque acteur de la société civile. Et plus un enjeu important apparaît dans l'actualité nationale, plus apparaissent en nombre des OSC se réclamant comme acteurs à part entière !
Cependant, que ce soit au niveau des partis politiques ou de la société civile, selon les réalités et quels que soient les camps, il y a des cadres tchadiens des deux sexes et de grandes valeurs, sauf que le milieu mettra systématiquement des obstacles à leur émergence, étant souvent condamnés à l'allégeance pour des raisons de solidarité tribale ou de survie alimentaire et professionnelle. 

Nb: c'est volontairement que nous ne mentionnons pas les religieux et la chefferie traditionnelle, pour ne pas en faire des acteurs protagonistes et alignés !

Les Politico-militaires ou la Rébellion armée
Enfin, la dernière catégorie d'acteurs dont l'évocation fait trembler les populations, ce sont les politico-militaires ou rebelles armés. Qui sont-Ils ? À l'origine, les premières rébellions armées sont de la vague des révoltes généralisées dans les parties septentrionales du Tchad, autour du FROLINAT. Mais très vite, avec la prise du pouvoir et le démantèlement de L'Etat à partir de 1979, le phénomène de la rébellion armée va se muter en des luttes interminables entre les grands groupes ethniques du Nord pour le pouvoir d'État et ses privilèges. 

Dès lors et au gré des faits de malgouvernance connus ou encore tus, le phénomène de la rébellion armée connaîtra une excroissance exponentielle jusqu'à plus d'une soixantaine de groupes armés dans l'histoire d'un des pays les plus pauvres du monde !

Le sujet de la rébellion armée est le plus complexe de l'imbroglio tchadien.

1) D'abord parce qu'à l'heure actuelle, il apparaît comme un phénomène désuet au Tchad et au Soudan, sans rapport avec un vent de révolution idéologique et réformateur connu.
2) Ensuite, il concerne curieusement les mêmes groupes qui détiennent déjà le pouvoir au Tchad depuis quatre décennies, pourquoi pas les autres composantes sociologiques du pays ?
3) Le phénomène de la rébellion armée a servi à des puissances voisines et à d'autres intéressées par la position stratégique singulière du Tchad, d'instrumentaliser la guerre destructrice par les mains tchadiennes elles-mêmes.
4) Au point que les groupes armés ayant survécu aux campagnes meurtrières de 2006 à 2010, ont dû devenir à leur tour des supplétifs des conflits inter-libyens et inter-soudanais.
5) Fortement armés, même sans vrai programme politique d'envergure, ces groupes armés sont perçus par le pouvoir, aussi bien que par la majorité des citoyens lambdas, comme les symboles de la continuité d'une guerre inter-tchadienne de 100 ans, pour le pouvoir dans un pays au bord du chaos.
6) Derrière le phénomène de la rébellion armée, se pose aussi l'épineuse question de "quel statut pour le grand BET ?", dans un Tchad nouveau et réconcilié, en prenant en compte l'état critique de cette zone martyr, en proie à toutes les calamités naturelles et aux menaces humaines et transfrontalières depuis plusieurs décennies de conflits violents ?
7) Même si les leaders de la rébellion armée sont fondés à avoir des ambitions et revendications politiques, dans quelles mesures seront-ils capables d'enrayer la menace que constituent l'existence de groupes armés dans la construction d'un État de droit, démocratique et pacifique? Les rébellions armées étant nés au Tchad depuis 1965, peut-on espérer qu'en 2021-2022, les élites tchadiennes soient suffisamment matures, patriotes et conséquentes pour mettre un terme à ce phénomène anachronique ? (De tous les pays ayant connu des rébellions armées, seul le Tchad bat le record de prolifération et de durée !)
9) Sans mettre en doute la bonne foi et le patriotisme des dirigeants de la rébellion armée, leurs fixations se portent à juste titre sur l'état actuel des FDS taxées par certains de claniques, ce qui lierait étroitement la solution définitive avec la réforme obligée et profonde des FDS ?
10) Beaucoup d'acteurs civiles ne comprennent pas les spécificités et la complexité qui entourent le phénomène de la rébellion armée et les enjeux de sa résolution définitive, et croient qu'une simple participation dans une salle de conférence, genre CNS, suffirait pour résoudre le problème ?

Au vu de ce qui précède et des pratiques de "rachat juteux" de quelques portions de la rébellion armée déjà vues, il faudrait prendre au sérieux et envisager des étapes préalables avec les politico-militaires, avant une éventuelle grande messe nationale qui enracinerait définitivement la paix au Tchad. 
C'est pourquoi des personnalités reconnues de l'opposition civile et de la société civile, devraient être associées dans la phase actuelle des négociations directes avec les politico-militaires. Car leurs problèmes ne concernent pas forcément, ni la forme de l'Etat ni les prochaines élections mais plutôt la mutation d'une époque révolue à la refondation d'un Tchad nouveau !

Pour finir, il y a une dernière catégorie d'acteurs souvent négligés mais qui détiennent les clés de la sortie de crise tchadienne : ce sont les indépendants ! Qui sont Ils ? Ce sont ces cadres valeureux, intègres, compétents, ouverts, acceptés dans la majorité des familles et des communautés, et qui ont su braver ou résister aux pressions des dictatures et du népotisme pratiqués dans ce pays. Souvent marginalisés, ils n'en demeurent pas moins les vrais modérateurs de la paix dans le quotidien des citoyens lambda. Sans leur forte implication dans le processus de la réconciliation nationale et de la sortie de crise, la sauce sera sans goût !
Nous n'avons pas insisté sur la diaspora tchadienne car elle est l'excroissance des acteurs et clivages déjà décrits plus haut. En effet, la diaspora tchadienne, au contraire d'autres qui exercent un rôle important dans le développement du pays à travers des investissements visibles et traçables, est très marginale et divisée. Si diaspora devrait signifier seulement extra-territorialité des acteurs, on n'avance pas pour autant dans la compréhension. Il serait plus juste, au stade actuel, de parler d'exilés et d'étudiants pour l'essentiel. 

Voilà grosso modo l'essentiel des acteurs publics tchadiens qui ambitionnent, pour des motivations et des objectifs divers, participer au dialogue national inclusif projeté ! Même si notre description est caricaturale, elle est proche de la réalité. 
C'est ça notre Tchad, pays de grands guerriers occupant la queue de la plupart des classements mondiaux! Est-ce un choix collectif réfléchi, une malédiction ou une imposition ? Selon la réponse, dépendront aussi la volonté, la capacité et la détermination collective de s'en sortir ou de simplement disparaître !

Par Enoch DJONDANG 
Analyste indépendant 
Témoignage de Satisfaction des Forces armées tchadiennes/Stratégie et relations civilo-militaires

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