Le Béninois, Boniface Koukoui dit Tola Koukoui, fait partie de ces rares artistes-comédiens du continent qu’on ne présente plus. Artiste multidimensionnel, l’homme de théâtre et de culture est finalement rentré dans son pays d’origine depuis quelques années après avoir parcouru les scènes du monde. Nous l’avons rencontré pour évoquer avec lui, à cœur ouvert, divers sujets notamment sur son parcours, son retour en Afrique et précisément au Bénin, et l’avenir de la culture en Afrique. Interview exclusive.
Afrique Destinations : Monsieur Tola Koukoui, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs du site Afrique Destinations qui ne vous connaissent pas, même si votre réputation est internationale?
Tola Koukoui : Je suis Boniface Koukoui dit Tola Koukoui, Comédien, Metteur en scène, Réalisateur et Producteur.
Vous avez une carrière dans le monde de l’art et du théâtre à faire pâlir d’envie beaucoup, comment en êtes-vous arrivé là ?
J’avais le virus dès mes débuts à l’école Saint Michel de Dakar à l’âge de 7 ans. Et depuis ce virus ne m’a pas lâché. J’ai donc à l’âge de 19 ans en 1963, sur concours de la Marine nationale française quitté le Bénin en ayant conscience que la Marine n’était qu’un moyen et qu’en réalité, il n’y avait que le Théâtre qui m’habitait. Pendant que j’étais dans la Marine où j’ai passé trois ans, j’ai intégré la troupe théâtrale de la Marine à Toulon et dans la même période, j’ai été admis au Conservatoire de Toulon d’où je suis sorti avec un 1er prix de Comédie.
Paris était la Capitale du Théâtre, n’ayant pas renouvelé mon contrat avec la Marine française, j’y suis monté et là, je suis tout naturellement rentré dans ce que je nomme ma vraie famille. Nous étions en 1966 ; mon premier prix de comédien obtenu à Toulon m’a donné l’accès à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre appelé communément Rue Blanche. A la même période et pendant trois ans, je suis resté au Conservatoire de Paris.
Vous êtes, si je ne me trompe, l’un des tout premiers africains à entrer au Conservatoire de Paris et à évoluer ensuite avec des grands noms du théâtre en France notamment, que retenez-vous de toute cette expérience ?
Avant ma sortie de la rue Blanche et du Conservatoire, j’ai été remarqué par des metteurs en scène comme Robert Derry, Jean Marie Serreau, Robert Manuel et tant d’autres. Pendant près de quarante années, j’ai donc côtoyé un nombre important de metteurs en scène, comédiens, réalisateurs avec qui j’ai appris le métier et la vie. Ils m’ont inculqué le sens du travail, de l’utopie et une haute conscience de l’humilité.
On vous a vu il y a quelques années à la tête du Festival de Théâtre du Bénin (FITHEB), mais cela n’a pas duré. Que s’est-il réellement passé ?
En fait, pendant mes tournées africaines, alors que je vivais encore en France, j’ai retrouvé un ami Yves Bourguignon rencontré quelques années auparavant au Centre Culturel Français (CCF) d’Abidjan. J’étais venu présenter une de mes créations : « Les Voisins » de J. Saunders. Le hasard a fait qu’il se déroulait au même moment, un Festival National de Théâtre co-organisé par le CCF représenté par son Directeur Yves Bourguignon et Antoine Dadélé, Directeur de la Promotion artistique et culturelle au Ministère de la Culture sous l’autorité du ministre Karim Dramane à l’époque.
Antoine Dadélé que je ne connaissais pas, me fut présenté par Yves Bourguignon. De cette rencontre et de nos discussions, je proposai alors de donner une dimension internationale au Festival. Voilà comment est né le FITHEB après accord du ministre. Nous avons rencontré le ministre à qui nous avons fait part de notre souhait d’alterner une édition nationale avec une internationale. Le réseau des CCF et mes relations avec le monde du théâtre à l’extérieur nous permettraient de faire du Bénin le carrefour de la Création théâtrale en Afrique ouvert sur le monde. C’est donc grâce à l’accord de Karim Dramane qu’est né le FITHEB dont la 1ère édition s’est tenue du 21 au 30 mars 1991. Nous avons célébré la Journée du 27 mars qui est la Journée mondiale du Théâtre initiée par la Francophonie.
Le succès inattendue de la 1ère édition a abouti en 1993 sur mon acharnement, et grâce à l’ouverture d’esprit du Président Dieudonné Nicéphore Soglo, à institutionnaliser le FITHEB, à lui donner un siège et à l’inscrire définitivement dans la mémoire des Béninois. Je ne pensais pas que mes frères et sœurs de ma famille artistique n’étaient pas dans la même dynamique que moi. Nos intérêts étaient divergents et j’ai fini par jeter l’éponge en 2000 après avoir organisé cinq éditions. Je suis très triste aujourd’hui parce que j’ai le sentiment que si le FITHEB est dans l’état que tout le monde sait, j’en suis aussi responsable et s’il y a échec je me l’impute en premier. J’ai rêvé le FITHEB et j’ai manqué de réalisme car ceux qui m’entouraient étaient censés m’accompagner dans la réalisation de ce rêve n’étaient pas dans la même dynamique que moi. Je suis prêt à retrousser mes manches pour la renaissance du FITHEB si on me le demande. Personnellement je suis dans un autre schéma pour la meilleure visibilité et la crédibilité du Théâtre au Bénin.
Avec le recul, pourquoi selon vous le FITHEB peine à décoller comme un grand événement sur le continent africain ?
De façon triviale, le FITHEB peine à décoller parce que ceux qui en ont la charge, au lieu de le servir, s’en servent comme tremplin et source de revenus. Le toilettage des textes est sans doute nécessaire de temps à autre pour coller à l’actualité du moment mais ne constitue pas un frein au bon fonctionnement du FITHEB. La cupidité des uns et des autres et le manque de patriotisme est la vraie source de la léthargie dont il souffre.
Quel regard portez-vous sur le théâtre au Bénin et en Afrique ?
Le théâtre au Bénin souffre des mêmes maux dont souffrent tous les secteurs d’activités où l’improvisation à être ceci ou cela permet les gains faciles, rapides et sans grand effort. Pourtant parmi nous, il y en a qui ont pris conscience que c’est par la formation, le travail et le sacrifice qu’ils récolteront le fruit de la semence. Le Théâtre au Bénin est encore balbutiant mais il y a de bonnes volonté qui par leur foi, leur opiniâtreté et leur acharnement au travail concourent à l’émergence d’un vrai Théâtre au Bénin.
Tout ce constat de l’état du Théâtre au Bénin fait que le Théâtre ne pourra réellement émerger et être pérenne, sans l’aide de l’Etat. Le manque de vision politique de nos gouvernants pour l’émergence d’un vrai Théâtre au Bénin n’encourage pas les créateurs. Toute proportion gardée, à part quelques exceptions en Afrique que je ne cite pas volontairement, tous les pays souffrent de la même indifférence des dirigeants des Etats.
Monsieur Tola Koukoui, vous avez décidé de rentrer chez vous au Bénin après des années passées en France, pourrait-on savoir ce qui vous a incité à le faire et ce que vous faites actuellement au Bénin ?
Oui, j’ai décidé de revenir vers mes racines pour humblement et avec modestie partager les fruits de plus de quarante années d’absence pendant lesquelles j’ai cherché à défricher le champ immense qu’est le monde du Théâtre. A quelques réponses que j’ai pu toucher du doigt. C’est pour donner un sens à ma quête que je suis au Bénin depuis une dizaine d’années.
Et si nous parlons de l’Afrique, la culture de manière générale n’est-elle pas le parent pauvre des projets de développement ?
Bien sûr, les Africains et leurs dirigeants n’ont pas encore pris conscience de la dimension culturelle du développement et c’est bien dommage. Une des plus grandes sources de revenus aux Etats Unis, c’est son industrie culturelle : le Cinéma en l’occurrence !
Comment entrevoyez-vous le développement et la promotion de la culture dans nos pays africains ?
Tout dépendra de tous les mécanismes de formation qui aboutissent à un travail bien fait : Investir et en tirer les bénéfices.
Avez-vous une question que vous auriez souhaité qu’on vous pose, mais qu’on n’a pas eu la présence d’esprit de poser ? Si oui, posez-la et répondez vous-même…
D’après vos réponses, vous semblez amer pourquoi ? Oui, je suis amer, parce que je vois toute la richesse de nos valeurs dont nous ne prenons pas conscience. Amadou Hampaté Bâ, mon père spirituel me disait souvent « les Africains sont assis sur une mine d’or et tendent la main ».
Si vous devriez conclure cette interview, que diriez-vous ?
Je dirais tout simplement : Travailler avec enthousiasme et y croire.
Propos recueillis par Marcus Boni Teiga