Vladimir Poutine, le président de la fédération de Russie a ses admirateurs sur notre continent. Il s’agit surtout des nouveaux « panafricanistes », unis dans leur détestation de la France, mais qui pour la plupart vivent dans ce pays, qui ont fait ou font mains et pieds pour en obtenir la nationalité, et pour qui la plus grande injure serait de leur dire « retournez vivre en Afrique. » Ils admirent donc Vladimir Poutine parce que ce dernier tiendrait la dragée haute à Emmanuel Macron, le président français, et marcherait victorieusement sur les plates-bandes gauloises, notamment en Centrafrique et au Mali. Ces panafricanistes, notons-le en passant, n’ont pas de mots assez durs pour fustiger les présidents africains qui font des troisièmes mandats, mais ne remarquent pas le nombre de mandats que leur idole Poutine s’est offerts.
Depuis quelques semaines l’attention du monde entier était concentrée sur la crise entre la Russie et l’Ukraine, et elle est montée encore plus haut depuis quelques jours, lorsque la Russie a décidé de reconnaitre l’indépendance de certaines régions de l’Ukraine. Jusqu’où ira cette crise ? Je l’ignore, et, étant très peu familier de l’histoire et des questions géostratégiques de cette région du monde, je ne me hasarderais pas à faire des commentaires et encore moins des pronostics. Je ne peux que croiser les doigts et espérer que la sagesse gagnerait tout le monde afin que la ligne fatidique qui conduit à la guerre ne soit pas franchie. Mais je constate qu’autant la Russie est active dans certaines de ses anciennes républiques satellites qui avaient pris leurs indépendances à la suite de la chute de l’empire soviétique, elle l’est également sur d’autres terrains, tels que la Syrie, la Libye et l’Afrique subsaharienne.
Au moment de nos indépendances, qui sont intervenues durant la « guerre froide », l’Afrique était divisée entre les pays pro-soviétiques et les pays pro-occidents, ou, si l’on veut, les pays socialistes tels que la Guinée-Conakry, le Bénin de Kérékou, l’Ethiopie de Mengistu Haïlé Mariam, le Congo Brazzaville, l’Angola, le Mozambique, et les pays capitalistes tels que la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Gabon, le Zaïre, actuel République démocratique du Congo, le Togo, le Nigeria, etc. A l’époque, nous étions dans une guerre idéologique. Il s’agissait de convertir des peuples à une vision politico-économique du monde. Aujourd’hui, la Russie et la Chine, les deux plus puissants pays communistes au temps de la guerre froide, se sont converties à l’économie de marché ou au capitalisme si l’on veut. La compétition ne consiste plus à convertir des populations à une idéologie. Il s’agit de faire main basse sur des ressources et avoir des marchés pour consommer ses produits et faire travailler ses entreprises. Comme le dit Stéphane, un de mes amis français, ce qui intéresse les gens en Afrique, ce ne sont plus les Africains, mais ce qu’ils ont sous leurs pieds, dans leur sous-sol. Et s’il faut tuer tous les Africains pour y mettre la main, ils ne se gêneront pas.
Quel est notre intérêt, nous, subsahariens, éternels damnés de la terre pour paraphraser Frantz Fanon, dans cette guerre de titans ? La Russie est en train d’avancer ses pions sur le continent. Comme la Chine l’avait fait auparavant. Chaque pays a sa stratégie. En Libye, en Centrafrique, et au Mali, il semble que ce soit à travers la compagnie de mercenaires Wagner que la Russie avancerait. La France est en train de quitter le Mali pour laisser la place aux Russes, et certains parmi nous applaudissent. Il est à parier que les Russes ne s’arrêteront pas en si bon chemin. Mais, ne sommes-nous pas juste en train de changer de maître pour avoir l’illusion de nous libérer ? Je crois que la bonne attitude pour nous consisterait à élaborer une vraie stratégie qui nous permettrait d’émerger vraiment. Il y a quelques jours s’est tenu le sommet Europe-Afrique. Il serait temps que l’Afrique tienne enfin son sommet avec elle-même pour discuter des voies et moyens de sortir de son sous-développement.
En 1980, sous l’impulsion de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), des économistes et experts africains avaient élaboré un plan à même de conduire l’Afrique à l’autosuffisance nationale et collective dans le domaine économique et social. J’ignore pourquoi ce plan d’action ne fut pas appliqué, mais rien ne nous empêche de poursuivre les réflexions en nous en inspirant. Il y a quelques jours je suis tombé sur un reportage sur la filière avicole en Côte d’ivoire. J’ai été heureux de découvrir que nous étions devenus autosuffisants dans la production de poulets en Côte d’Ivoire. Cela veut dire que lorsque l’on prend les mesures idoines, l’on peut obtenir les résultats que l’on cherche à atteindre. Houphouët-Boigny disait qu’un homme qui a faim n’est pas un homme libre. De la même manière, un peuple qui a faim n’est pas un peuple libre. Et toutes les grandes puissances ont d’abord résolu la question de leur autosuffisance alimentaire avant de se lancer dans le développement des autres domaines. Alors, cherchons avant tout, à rester nos propres maîtres, ce qui n’exclut pas de coopérer avec d’autres puissances.
Par Venance Konan
PS : chronique écrite le mercredi 23 février, à la veille de l’attaque de l’Ukraine par la Russie, et publiée dans le Fraternité Matin du jeudi 24.
