Communication Afrique Destinations

ETATS-UNIS D’AFRIQUE : Mythe dépassé ou rêve à réaliser?

Les chefs de l'Etat et de gouvernement au siège de l'Union africaine à Addis-Abeba en Ethiopie

L’idée d’une fédération des Etats-Unis d’Afrique remonte bien avant les indépendances africaines. Mais plus de cinquante ans après, sa réalisation est en butte à maints obstacles. Sans pour autant laisser indifférentes aussi bien les anciennes que les nouvelles générations d’Africains.

L’idée de créer les Etats-Unis d’Afrique est née du panafricanisme. Il s’agit d’un mouvement politique et culturel dont la philosophie est d’unir les Africains d’Afrique et les descendants hors d’Afrique. Edward Wilmot Blyden, universitaire, écrivain, diplomate et homme politique originaire de Saint-Thomas dans les Caraïbes est considéré comme le précurseur de ce mouvement. D’autres figures du monde noir comme l’avocat trinidadien Henry Sylvester Williams et le journaliste jamaïcain Marcus Garvey, en ont été les principaux porte-étendards à travers le monde. A ces grandes figures, il faut ajouter celles du mouvement afro-américain de la « Negro Renaissance » à l’instar de Langston Hugues, de Claude Mac Kay, de Cuntee Cullen, d’Alan Locke, de William Dubois et du mouvement de la « Négritude » en France comme Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas.

Si le panafricanisme n’est pas né en Afrique, il a cependant été porté par des personnalités politiques africaines. Ce sont les anglophones Kwame N’Krumah du Ghana et Nnamdi Azikiwé du Nigeria qui en ont été les premiers apôtres, du fait même des origines anglo-saxonnes du panafricanisme. Mû par l’idéal d’un continent fédéré contrairement à la balkanisation actuelle, le mouvement a conquis bien d’autres intellectuels et dirigeants d’Afrique.

Avec l’accession à l’indépendance au début des années 60, certains pays ont donc essayé de se regrouper. Ainsi, en Afrique de l’ouest, la Guinée de Sékou Touré et le Ghana de Kwame N’Krumah ont formé l’Union Guinée-Ghana tandis que le Sénégal et le Mali (ex-Soudan français) ont créé la Fédération du Mali. A l’opposé de ces deux regroupements, celui de l’Oubangui en Afrique centrale sous la houlette de David Dacko de Centrafrique est resté mort-né.

Suivant le mot d’ordre de Kwame N’Krumah : « l’Afrique doit s’unir », le « Groupe de Casablanca » (Ghana, Egypte, Tunisie, Maroc, Libye, Guinée-Conakry, Soudan, Mali et Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) s’est mis en place en 1961 grâce au concours de Gamal Abdel Nasser d’Egypte. Mais il s’est heurté aux manœuvres géopolitiques des anciennes puissances coloniales dans la mise en œuvre de son projet de grand regroupement. Qui pis est, l’ex-Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) n’a pas cru devoir soutenir cette initiative. En quête elle aussi de zones d’influence dans le contexte de guerre froide de l’époque. A la suite du « Groupe de Casablanca », le « Groupe de Monrovia » né sous le tandem Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire et Léopold Sédar Senghor du Sénégal a fait également long feu. 

Ces différentes tentatives de regroupements ont échoué, car les querelles de leadership ont très tôt eu raison de la volonté politique des protagonistes. Sans compter la faiblesse ou l’absence de bases juridiques des entités formées et la politique de « diviser pour régner » des anciennes puissances coloniales. L’Union Guinée-Ghana n’était fondée que sur l’engagement et la profession de foi de ses deux dirigeants alors que face aux fédéralistes Léopold Sédar Senghor et Modibo Keita, le général Charles de Gaulle a fait pression sur Félix Houphouët-Boigny pour qu’il quitte la Fédération du Mali de laquelle se sont vite retirés la Côte d’Ivoire, le Bénin (ex-Dahomey), le Burkina Faso (ex-Haute Volta). Félix Houphouët-Boigny sera aussi au centre des querelles de clochers entre francophones et anglophones dans les différentes tentatives de regroupement, et montré du doigt comme étant au service de la France.

Les échecs répétés des tentatives de regroupement n’ont néanmoins pas émoussé la détermination du président Kwame N’Krumah (précurseur des Etats-Unis d’Afrique dans sa forme moderne et actuelle). Dès mars 1963, lors de la rédaction de la charte instituant l’Organisation de l’unité africaine (OUA), il va se battre envers et contre tous pour que soit pris en compte la mise en place d’un gouvernement central africain. A sa grande déception malheureusement. Et pour cause, ils ne sont pas nombreux ceux qui sont prêts à céder leurs prérogatives de chefs d’Etat au profit d’un grand dessein d’unification du continent. L’OUA restera ainsi plus un syndicat des chefs d’Etat qu’une véritable institution d’intégration jusqu’à sa disparition.

Après la mort de Kwame N’Krumah en 1972, le flambeau du panafricanisme va s’éteindre. Il sera plus tard rallumé par le jeune et révolutionnaire président Thomas Sankara du Burkina Faso à la faveur de son avènement au pouvoir en 1983. L’enthousiasme qu’il a suscité en portant haut ce flambeau a été à la mesure de la déception des Africains après son assassinat en 1987. Faute de leader charismatique pour incarner l’idéal du panafricanisme, le guide libyen Mouammar Kadhafi a pris le relais de Thomas Sankara, avec l’ambition inavouée de devenir le premier président des Etats-Unis d’Afrique. Même s’il n’a pas les capacités intellectuelles et le charisme de ses prédécesseurs, il a l’ambition et la volonté politique. A coup de pétrodollars libyens, il réussit à faire adopter en 1999 la déclaration de Syrte créant l’Union africaine sur les cendres de l’OUA. Et en 2002, au sommet de Durban en Afrique du Sud, l’Union africaine est finalement portée sur les fonts baptismaux, sur la base d’institutions inspirées de l’Union européenne.

 Lors d’un sommet désormais mémorable des chefs d’Etat et de gouvernement d’Afrique à Accra au Ghana du 25 juin au 4 juillet 2007, Mouammar Kadhafi fait tout ce qui était en son pouvoir afin qu’un gouvernement central africain soit créé dans l’immédiat. Une bataille que les partisans du gradualisme ont gagnée au détriment de ceux qui étaient pour sa concrétisation immédiate. L’ex-président malien et premier président de la Commission de l’Union africaine, Alpha Oumar Konaré, dira que « la bataille pour les Etats-Unis d’Afrique est la seule capable d’apporter des réponses aux problèmes des populations africaines ». Avant d’ajouter que « le chemin à parcourir pour y arriver est encore long ». 
Depuis, l’Union africaine a quasiment du plomb dans l’aile. Elle peine à évoluer graduellement vers les Etats-Unis d’Afrique. Edem Kodjo, ancien secrétaire général de l’OUA et ancien Premier ministre du Togo a d’ailleurs déclaré à cet effet que « l’intégration ne se fait pas uniquement par l’économie. Elle est aussi le fait du politique. Or, au niveau de l’Union africaine, si le dossier est ouvert, il n’avance pas ». 

En effet, le poids des anciennes puissances coloniales dans la vie politique africaine est toujours aussi manifeste. Et les susceptibilités entre dirigeants africains quant au leadership sont toujours aussi vivaces. En l’absence d’hommes d’Etat charismatiques pour porter cet idéal, la flamme du panafricanisme pourrait bien s’éteindre encore une fois. Au demeurant, avec le départ programmé de Mouammar Kadhafi du pouvoir, seule une volonté populaire et manifeste de la société civile africaine pourrait effectivement faire avancer le processus de manière significative. D’autant que c’est plus au sein de cette société civile que dans la classe politique africaine qu’on compte aujourd’hui les ardents défenseurs du panafricanisme et des Etats-Unis d’Afrique. Et malheureusement, elle n’a quasiment pas voix au chapitre dans la construction des futurs Etats-Unis d’Afrique.

Marcus Garvey,  chantre des Etats-Unis d’Afrique

Marcus Garvey naquit à Saint Ann’s Bay en Jamaïque le 17 août 1887. Très tôt, il est confronté dans la vie au racisme envers les Noirs. A 14 ans, il doit travailler dans une imprimerie pour gagner sa vie. Membre du syndicat des imprimeurs et meneur d’une importante grève, Marcus Garvey est licencié. Il va alors devenir journaliste et fonde son premier journal The Watchman, puis un autre Our Own dans le cadre des activités d’une organisation politique dénommée National Club.

L’année 1909 marque le début de la grande mobilisation pour l’émancipation des Noirs à laquelle Marcus Garvey se consacre dorénavant. Il va prêcher son idéologie au Costa Rica, au Panama, en Equateur, au Nicaragua, au Honduras, en Colombie, au Venezuela. Partout, il reçoit un accueil enthousiaste. Le déclic pour l’Afrique se produit à Londres en Angleterre quand il y rencontre de nombreux intellectuels noirs d’Afrique en 1912. 

Cinq jours après son retour en Jamaïque le 15 juillet 1914, il crée Universal improvement Association (UNIA), c’est-à-dire l’Association universelle pour l’amélioration de la condition noire. Son objectif est de «rassembler tous les peuples noirs du monde, au sein d’une grande entité, et de créer une nation et un gouvernement qui leur seraient propre». Et le slogan de l’association est : «one aim ! one God ! one destiny !» (un seul but ! un seul Dieu ! un seul destin !). Il devient ainsi la plus grande figure de la cause noire de par son engagement et son nationalisme radical.

Marcus Garvey émigre aux Etats-Unis d’Amérique et entre en contact avec les mouvements d’émancipation afro-américains. Puis fonde de nombreuses sections de l’UNIA et compte le père de Malcom X au sein de ses réseaux. Pour lui, il n’y a pas d’émancipation possible des afro-américains en dehors de l’Afrique à l’opposé des assimilationnistes et des intégristes comme Williams DuBois, journaliste de son état. Il soutient aussi tous les leaders des mouvements de libération dans le monde, en particulier Ho Chi Minh et Mahatma Gandhi.

La conception du panafricanisme de Marcus Garvey ne diffère pas de celle de Williams DuBois. Elle consiste en l’unité du continent africain, à l’exception de l’Afrique du Nord. Autrement dit, elle est fondée sur une base raciale. Elle l’est plutôt dans les méthodes et les moyens. «L’Afrique doit être libérée, et nous devons vouer notre vie, notre énergie et notre sang à cette cause sacrée», disait-il. Ou encore : «partout, le Nègre est marginalisé, maintenu de force au bas de l’échelle sociale de l’humanité, parce que noir. Sans la moindre considération, ni pour ses qualités humaines, ni pour ce qui pourrait être son intelligence ou ses dons. Nulle part, le Nègre ne jouit de la moindre dignité humaine ; partout, il est serf, esclave…».

Lorsqu’en 1919, avec des actionnaires noirs, il crée la compagnie maritime Black Starline, son mot d’ordre est clair : Back to Africa (le retour des descendants d’esclaves noirs vers l’Afrique). Marcus Garvey sous-tend son idéologie par un volet économique qui met en place des usines, des réseaux de distribution et des journaux dont The Negro World (Le Monde Noir). Mais Black Starline fait faillite et ses actionnaires l’accusent d’escroquerie en 1922. Condamné à cinq ans de prison et incarcéré dans un pénitencier fédéral d’Atlanta en 1924, sa peine est commuée en 1927 et il se voit expulsé vers la Jamaïque et interdit de séjour aux Etats-Unis d’Amérique.

Marcus Garvey essaie de mener des activités politiques en Jamaïque sans grand écho et finit par s’exiler en Angleterre en 1935. Alors que son mouvement s’essouffle, il y meurt sans jamais réellement fouler le sol africain. N’empêche que de nombreux présidents africains comme ceux du Ghana, du Swaziland, du Nigeria, du Kenya reconnaissent son inestimable contribution intellectuelle à la libération de leur pays. Comme le disait si bien Kwame N'Krumah : «L’Afrique a besoin d’un nouveau type de citoyen, dévoué, modeste, et bien informé qui renonce à lui pour servir l’Afrique et l’humanité, un homme dont la force soit l’humanité, et sa grandeur l’intégrité».

Par Marcus Boni Teiga


A lire aussi :

Pourquoi l’Afrique ne se développe pas

GOUVERNANCE ET LEADERSHIP : Ces dirigeants qui font encore rêver l'Afrique

AFRIQUE/PRESIDENCE DE L’UNION AFRICAINE : Les acquis de la présidence de Félix Tshisekedi


 

Ajouter un commentaire

Le code langue du commentaire.

HTML restreint

  • Vous pouvez aligner les images (data-align="center"), mais également les vidéos, citations, etc.
  • Vous pouvez légender les images (data-align="center"), mais également les vidéos, citations, etc.
Communication Afrique Destinations