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TRIBUNE/COUPS D’ETAT EN AFRIQUE DE L’OUEST : La CEDEAO sur la sellette

La situation sociopolitique du Niger marquée par l’immixtion des militaires dans la politique nécessite une solution pour que le pays recommence une vie normale. Face aux putschistes du coup d’Etat insolite du 26 juillet dernier qui durent à la tête du pays et une intervention militaire annoncée de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui se fait désirer, cela n’en finit pas de susciter des commentaires en Afrique. Entre partisans et adversaires de l’une ou l’autre des options. 

L’adage africain est bien connu et l’un des plus populaires du continent qui dit à peu près ceci : « Avant d’aller balayer devant chez les autres, il faut d’abord balayer devant votre porte ». Et pourtant, les Africains ont cette propension obsessionnelle, voire maladive à occulter ce qui se passe chez eux pour se préoccuper au plus haut point de ce qui ne les regarde pas au premier chef. 

Beaucoup de citoyens de l’Afrique du Centre ont une passion inexpliquée pour les affaires sociopolitiques de l’Afrique de l’Ouest alors que dans bien des pays d’Afrique Centrale, la situation laisse à désirer et qu’ils ne s’en préoccupent pas outre mesure. Comme si leur prétendu Panafricanisme ne s’appliquait que pour les pays en dehors de leur sous-région.

Dans l’ensemble du continent, l’Afrique de l’Ouest n’est pas mal logée parmi les régions où les afficionados de ce sport continental sont les plus nombreux.

Il est d’ailleurs possible de le constater avec certains confrères du Burkina Faso en particulier, lesquels ne ratent aucune occasion pour parler d’autres pays ou de leurs dirigeants tandis qu’ils sont incapables d’en dire ne serait-ce que le tiers sur le Burkina Faso ou encore le Capitaine Ibrahim Traoré. Ils font profil bas sur l’actualité du Burkina Fao. Par contre sur l’étranger, ils s’en donnent allègrement avec des critiques au vitriol.


Ce que l’on reproche à la CEDEAO

La CEDEAO est l’unique organisation sous-régionale de tout le continent africain qui fonctionne tant bien que mal. C’est un secret de polichinelle. Mais tous les ressortissants de l’Afrique de l’Ouest ne le savent peut-être pas. Pour autant, ils sont en droit de lui reprocher sa léthargie face à ce qui aurait pu lui donner davantage de crédit et de respectabilité. A savoir donner force de loi qui s’applique à tous, y compris aux chefs d’Etat en exercice, à ses décisions lorsqu’il s’agit de respect des principes de la Démocratie pluraliste et de Bonne gouvernance en Afrique de l’Ouest. Mais aussi et surtout, mettre en œuvre des actions concrètes en faveur des populations des pays membres.

Néanmoins, ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de choses à reprocher à la CEDEAO qu’elle doit laisser les militaires décider, dans chaque pays, quand il faut arrêter un processus démocratique en cours ou non. Au gré de leurs desiderata, et sans tenir compte des autres composantes civiles de la nation, comme c’est le cas au Niger.

Personne ne veut de la guerre au Niger. En revanche, les militaires du Niger doivent rendre le pouvoir au Président Mohamed Bazoum et retourner dans leurs casernes. Il faut arrêter la spirale des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest aux portes du Niger une bonne fois pour toutes. Et il faut aller plus loin pour réformer également la CEDEAO en profondeur afin qu’elle cesse définitivement d’être aussi léthargique et traitée de syndicat des chefs d’Etat pour jouer pleinement son rôle au service des populations de l’Afrique de l’Ouest. La CEDEAO ne doit faire preuve d’aucune complaisance vis-à-vis des putschistes. N’en déplaise à tous ceux qui voient son intervention d’un mauvais œil. Sa crédibilité et sa survie en dépendent.

Même si le Nigeria a été affaibli ces dernières années par les différents groupes jihadistes, il devra assumer entièrement son rôle de leader en Afrique de l'Ouest. En prenant la tête de la CEDEAO, le Président Bola Tinubu avait lui-même déclaré : « Nigeria, nous sommes de retour ». C’était lors du 63è Sommet de la CEDEAO du 09 juillet 2023 en Guinée-Bissau à l’issue duquel il avait été porté par ses pairs à la tête de l’organisation. Et il avait ajouté : « Nous avons besoin (de la démocratie) pour être un exemple pour le reste de l'Afrique et du monde ». C’était seulement quelques jours avant le putsch du 26 juillet 2023 contre le régime démocratique du Président Mohamed Bazoum au Niger.

Le Bénin n’est pas un modèle, et le régime a peur… 

Le Bénin n’est pas un modèle en matière de de démocratie et de gouvernance. Bien au contraire, il s’agit d’une Dictature avec des institutions de la République dont la cosmétique emprunte au système politique des régimes pluralistes.

Les Béninois ne sont pas différents en cela de ceux qui affectionnent de parler des pays d’autrui tandis que la situation sociopolitique du Bénin renferme bien plus d'ingrédients qui ont conduit ailleurs à tous ces putschs que l'on est en train de décrier. A bien des égards, on pourrait même dire que les Béninois font pire même, si l’on tient compte du fait que leur Président autoproclamé « Compétiteur-né » a décrété qu’ils étaient en Démocratie. En tout cas, c’est qu’il s’évertue à faire croire à l’international et il le chante sur tous les toits, à savoir que le Bénin est une Démocratie. Vous avez bien dit Démocratie !...

« Dans une Chronique, le journaliste et universitaire béninois Francis Kpatindé, enseignant à Sciences Po Paris a écrit ceci : « Pour s’inscrire dans la durée, une démocratie a besoin d’institutions solides et consensuelles. Sa préservation tient également au degré de discernement de ceux qui reçoivent mandat du peuple pour en être les animateurs. Les difficultés actuelles du Bénin découlent tout autant de la tenue d’élections législatives non inclusives, le 28 avril, que du tempérament, du style et des idées ultralibérales de l’homme qui préside à ses destinées depuis trois ans (*1) »

Patrice Talon a décidé de faire main basse sur le Bénin de collusion avec un certain nombre d’acteurs sociopolitiques du Bénin dont on se demande à quel prix ils lui ont accordé leur collaboration. Il s’agit d’une stratégie visant à contrôler l’économie du pays pour pouvoir contrôler le jeu politique à travers ses dirigeants. Qu’ils soient politiques ou économiques, les dossiers opaques sur lesquels les intérêts de l’Etat béninois ont été sacrifiés à son profit sont légion. Cela lui a permis de prendre le contrôle de pans entiers de l’économie béninoise et d’y associer en d’autres endroits les sociétés étrangères de ses amis, de sorte à bénéficier de l’emprise la plus large possible sur le pays. Une situation qui fait du Bénin actuel sinon un Protectorat du moins carrément un Holding de Patrice Talon ».

Cet extrait du livre de Marcus Boni Teiga Le Bénin : Comprendre en 100 questions-réponses la gouvernance de Patrice Talon (*2) qui cite par ailleurs Francis Kpatindé en dit long sur la Démocratie, version Patrice Talon dit le « Compétiteur-né ». Depuis le début de son indépendance à nos jours, le Bénin n’a pas connu une Dictature aussi sournoise et pernicieuse que celle que Patrice Talon a imposé aux Béninois avec la complicité de certains chefs militaires de l’armée béninoise et des politiciens cupides, prêts à vendre tout un pays et avec lui tout son peuple. Dans qu’elle Démocratie, l’on décide seul au palais présidentiel et toutes les autres institutions de la République courent l’échine ? Dans quelle Démocratie, la Justice se confond à sa volonté personnelle ? Dans quelle Démocratie, l’on envoie la moitié du personnel politique du pays en exil et le met le bâillon à tous les autres qui sont à l’intérieur? Et que dire de Sébastien Ajavon, l’opposant politique et le rival en affaires que Patrice Talon n’a eu aucune pitié à persécuter, martyriser et dépouiller de ses biens après que ce dernier l’a aidé à remporter le second tour de l’élection présidentielle de 2016 ? Si le ridicule pouvait tuer…

Au lieu de se moquer du Président déchu Ali Bongo, et de la Dynastie Bongo dont il était le dernier représentant au Pouvoir, les Béninois feraient donc grandement mieux que s’occuper du Bénin qui est en lambeaux, tant sur le plan social que politique. Il faut dire qu’avec une Constitution taillée sur mesure aux ambitions de Patrice Talon, une Assemblée nationale vassalisée qui officie comme une caisse enregistreuse – en dépit de la dernière entrée de quelques opposants -, le pays n’appartient plus aux Béninois, il appartient à Patrice Talon et à tous les prédateurs économiques de son équipe. Et, tout-puissant comme Jupiter qu’il est, il peut gouverner à sa guise sans avoir de compte à quelque institution de la République que ce soit. Comme par exemple faire venir n’importe quel étranger et le placer à un poste hautement sensible de l’Etat du Bénin. En l’occurrence Pascal Nyamulinda, le Rwandais que Patrice Talon a nommé en tant que Directeur général de l’Agence d’identification des personnes (ANIP) est un de ces exemples, s’il en était encore besoin de le prouver. Tout comme il peut faire venir de Pétaouchnok n’importe quel serviteur, du moment où cela arrange ses intérêts, peu importe ce que les Béninois en pensent. Sauf que par les temps qui courent, il vaut mieux qu’ils viennent d’ailleurs que du côté du Pays de Vladimir Poutine. Suivez mon regard…

Henri N'dah-Sekou, journaliste à l’Office de radio et de télévision du Bénin (ORTB), à Cotonou, fait bien d’écrire sur sa page Facebook :

« Les #Gabonais ont fait leur #putsch, depuis le 30 aout, et sont contents, apparemment.

Mais des africains de l'Ouest y voient un complot, un faux coup d'Etat, pour maintenir les #Bongo et les français, aux affaires. 

Il est si difficile que chacun s'occupe de ses affaires ? 

#Gabon, Gabon, Gabon, ... eux au moins ont l'argent qui traine partout, et ils ne sont même pas nombreux, à peine 2,5 millions ».

Coups d’Etat estampillé Wagner ou Russie

A parcourir certains réseaux sociaux, voire certains médias à la suite du coup d’Etat au Gabon, c’est à croire que pour qu’un coup d’Etat soit dorénavant un vrai coup d’Etat, il faudrait qu’il soit forcément estampillé « Wagner » ou « Russie ». Et si tel n’est pas le cas, qu’il ait ‘onction de la Russie de Vladimir Poutine.

Jadis, quand les militaires africains perpétraient leurs coups d’Etat, les citoyens des pays concernés ne se préoccupaient pas outre mesure de savoir qui se cachaient derrière les putschistes. Aujourd’hui, il en va tout autrement, en particulier en Afrique francophone. Et, justement, c’est l’une des raisons pour lesquelles les militaires des pays francophones, notamment du Mali, du Burkina et du Niger ; ont beaucoup de mal à se rendre plus audibles et crédibles. Hormis les Agents russes et les groupuscules Pro-Russes qui les soutiennent, il s’avère difficile de se faire accepter dans l’ensemble de l’opinion publique africaine tant francophone qu’anglophone. A moins de brandir l’argument de la présence ou de la domination française pour essayer de masquer cette liaison on ne peut plus dangereuse avec Moscou qui n’apportera que privations des libertés et Dictature en Afrique. Toutes choses auxquelles la Société civile des pays d’Afrique de l’Ouest n’est pas prête à accepter.

La France, n’est donc en réalité qu’un prétexte tout trouvé pour justifier l’immixtion inacceptable du Militaire dans la Politique. Au motif de tout un tas de raisons dont certaines sont bien fondées – il faut le reconnaître -, les putschistes voudraient faire croire aux Africains qu’il vaut être en relation avec la Russie qu’avec la France et l’Occident. Ou que la Démocratie n’est pas faite pour nos pays africains et qu’il vaudrait mieux la Dictature et l’opacité qui sont toujours caractéristiques des Relations entre l’Afrique et un pays dont le Président Vladimir Poutine a le droit de vie ou de mort sur tous les Russes. Même quand on est un homme aussi influent que Evgueni Prigojine, l’ancien patron du Groupe Wagner. Le Président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, avait déjà dit à Vladimir Poutine au lendemain du coup de force avorté d’Evgueni Prigojine : « J'ai dit à Poutine: on peut le buter, ce n'est pas un problème. Soit à la première tentative, soit à la deuxième. Mais j'ai dit: ne le faites pas », avait alors déclaré le Président Alexandre Loukachenko. Autant dire que sa mort est dorénavant plus que suspecte. D’autant plus que ce n’est pas un missile ukrainien qui a abattu son avion, et il l’a été en territoire russe qui pis est.

La CEDEAO n’est pas la CEMAC et le Niger n’est pas le Gabon

NigerIl ne faut pas comparer le coup d’Etat au Gabon au coup d’Etat au Niger, ni la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique Centrale (CEMAC). Du fait même que les espaces géographiques ne sont pas les mêmes, elles n’ont pas les mêmes principes et les mêmes fonctionnements si l’on scrute l’histoire de ces deux organisations en parallèle.

Il ne faut donc pas prendre le fait accompli de la CEMAC face au coup d’Etat du Gabon pour le modèle à suivre par la CEDEAO. En Afrique de l’Ouest, il existe une longue tradition d’interventions militaires dans les Etats membres. A commencer par la création de l’ECOMOG (Economic Community Cease-Fire Monitoring Group) au Liberia en 1990, l’intervention en 1997 de l’ECOMOG sous la direction du General Sani Abacha en Sierra Leone pour rétablir dans ses fonctions le Président élu, Ahmad Tejan Kabbah, renversé par une junte dirigée par le Commandant Johnny Paul Koroma, les multiples interventions de la CEDEAO en Guinée-Bissau, la menace dintervention de la CEDEAO en Gambie pour contraindre le Dictateur Yahyah Jammeh battu aux élections présidentielle de 2017 à céder le Pouvoir au Président Adama Barrow élu.

Personne n’a jamais remis en cause ces interventions qui ont toujours permis de sauver et de maintenir des régimes au fonctionnement plus démocratiques que sous l’autorité des militaires issus de quelque coup d’Etat. Parce qu’il s’est souvent agi de régimes issus d’élections pluralistes, inclusives et crédibles. Or tout coup d’Etat remet en cause l’expression du suffrage populaire et le choix du peuple pour imposer la volonté des putschistes à tous.

En Afrique de l’Ouest, la stratégie est toute trouvée pour mobiliser en faveur des militaires. C’est de montrer du doigt la France y compris en inventant des mensonges. C’est la stratégie russe et elle fonctionne. C’est l’ancien Colonisateur. Il est en effet trop facile de laisser ses partisans manifester bruyamment pendant que l’on prive ceux qui ne soutiennent pas les militaires de tout moyen d’expression comme c’est le cas au Niger pour ensuite faire croire que l’adhésion de la population à la forfaiture des militaires est totale.

Tous les acteurs politiques en Afrique connaissent la formule magique pour remplir les stades quand il s’agit de faire illusion lors des campagnes électorales. Même si les résultats des urnes ne reflètent jamais l’illusion passagère des stades bondés de soi-disant partisans ou sympathisants. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil d’Afrique pour impressionner l’observateur averti de la politique africaine. Ce stratagème n’est destiné que pour les étrangers et l’opinion publique internationale.

« Au Gabon ou ailleurs, ceux qui acclament les putschistes ont souvent la mémoire courte. Dans tel ou tel pays, ces mêmes militaires se sont, dans un passé pas si lointain, illustrés par leur brutalité contre ceux qui les acclament aujourd’hui. Mais, toute voix qui rappellerait ces faits serait inaudible, dans l’euphorie actuelle. Le temps de la lucidité viendra. En attendant, le général a un répit. Pour entrer dans l’Histoire. Ou pour décevoir, comme tant d’autres putschistes, héros d’un temps. L’Afrique, heureusement, compte aussi quelques rares putschistes qui ont fait progresser leurs peuples.Mais, quelles que soient les raisons qui le motivent, un coup d’État n’a rien de glorieux pour un peuple !  L’Afrique aurait donc tort de se complaire, ici, dans la troublante notion de coups d’État utiles ou nécessaires. Car chaque putsch altère la signature et la crédibilité de l’État et, souvent aussi, celles de ses voisins, surtout lorsqu’ils appartiennent à un même ensemble ».

Le chroniqueur de Radio France Internationale (RFI), Jean-Baptiste Placca, poursuit son analyse en rappelant que l’une des malheureuses conséquences de ces coups d’Etat intempestif est la rétraction des marchés financiers vis-à-vis non seulement des pays concernés par les putschs mais de l’ensemble de leurs voisin. En invoquant la frilosité des Investisseurs qui ont tôt faire de dire que « Financer des projets en Afrique est trop risqué ». Et à juste raison. Car tout investisseur recherche non seulement la sécurité de son investissement mais également son retour sur investissement. Toutes choses que ne garantissent pas l’instabilité et les coups d’Etat.

De toute évidence, les coups d’Etat sont loin d’être une bonne affaire pour la CEDEAO, au-delà même su simple fait que cela constitue un danger politique pour les fragiles institutions mises en place pour faire l’apprentissage démocratique. Economiquement, ils mettent en péril à la fois les investissements financiers que le développement des pays, et par voie de conséquence le progrès social inhérent à l’amélioration des conditions de vie des populations déjà largement dans la précarité.

Par Serge Félix N’Piénikoua

*1 - Francis Kpatindé, « Patrice Talon veut transformer le Bénin en une immense SARL dont il serait l’unique actionnaire », Le Monde Afrique, Publié le 08 mai 2019 à 10h05 : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/05/08/patrice-talon-veut-transformer-le-benin-en-une-immense-sarl-dont-il-serait-l-unique-actionnaire_5459603_3212.html

*2 – Marcus Boni Teiga, Le Bénin : Comprendre en 100 questions-réponses la gouvernance de Patrice Talon, Editions Complicités, février 2021.

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