Personne n’aurait parié un seul copeck, il y a de cela plus de 20 ans que le bambin qu’était Zoumki Ouzané deviendrait Ingénieur des Travaux Publics. Car au regard du sort qui s’était acharné contre lui dès sa prime enfance, ce n’était pas évident de le voir là où il est aujourd’hui.
Rien en apparence ne vous montrera que Zoumki Ouzané a traversé tous les déserts dans sa vie. Sauf, peut-être, ses quelques moments d’absence, même pendant les grands moments de réjouissance. Mais il faut bien être doté d’une sagacité et d’une expertise psychologique pour le pressentir.
La cruauté du destin va d’abord le sevrer très tôt de l’affection paternelle alors qu’il était à une semaine du Certificat d’Etudes Primaires et Elémentaires (CEPE). C’était en 1977 à Figuil au Cameroun, où ses parents l’ont inscrit six ans plutôt. Après le décès du père, son grand-frère vint le chercher pour l’amener à N’Djaména afin que la scolarité du petit Zoumki soit à l’abri des perturbations consécutives à la disparition du père.
Malheureusement pour lui, sa venue à N’Djaména va coïncider avec le début de la guerre de 1979. Retour à la case départ, c’est-à-dire à Figuil où le jeune homme devra y poursuivre son cursus scolaire. Hélas ! L’administration du collège de Figuil lui refuse l’inscription. Commence alors la partie la plus difficile pour le jeune adolescent. Zoumki décide de se pousser du nid maternel pour affronter la vie et non la subir.
Il passera ainsi trois ans à la rue où il fit tous les métiers. Tour à tour, on le retrouve docker au marché de Figuil, pousseur, laveur de voiture, il finit même par se trouver un travail de « marmiton » dans un petit restaurant de la place. Ce dernier emploi tombe à pic pour Zoumki qui s’affirme d’ailleurs, de plus en plus, dans cette jungle qu’est la rue. Pour lui le problème de la faim est résolu. Il abandonnera ce travail de marmiton, malgré les avantages que cela lui procurait, pour devenir pompiste à la station de Figuil qu’il abandonnera d’ailleurs au bout de quelques temps au profit du métier d’apprenti chauffeur. Il apprendra aussi la plomberie sanitaire et celui de l’électricité domestique.
La fin de la guerre dans la capitale tchadienne arrache le garçon de sa partie d’aventure. Contre toute attente, il décide de revenir à N’Djaména pour reprendre le chemin de l’école. Là encore il ne sera pas au bout de ses peines. Car le grand frère chez qui il doit habiter est à plus de sept kilomètres du CEG n°2 (Collège d’Enseignement Général n°2), où il a pu trouver l’inscription. Déjà forgé par les adversités de la rue, ce ne sont pas les quinze kilomètres à parcourir chaque jour, à pied, pour faire l’aller-retour entre la maison et le collège qui vont l’en dissuader. Il faut plus que ça pour émousser l’ardeur de ce jeune homme trapu. Il sera même très assidu en classe, décroche au bout de trois ans son BEPC (Brevet d’Etudes du Premier Cycle). Il franchira juste le grillage pour s’inscrire au lycée Félix Eboué qui jouxte le CEG n°2. Il y poursuivra brillamment ses études. Un soir, rentrant du cours, il s’arrête chez un camarade de classe qui n’a pas été ce jour à l’école. Par le biais de ce condisciple, il apprendra qu’un concours de recrutement à l’Ecole Nationale des Travaux Publics au cycle des ingénieurs des travaux venait d’être lancé sur les ondes de la Radio Nationale Tchadienne. Il passe ce concours sous réserve du bac, entendu qu’il était alors en terminale C. Ce fut la saison de succès pour l’ancien docker ! Il décrochera aussi bien le concours que le baccalauréat.
Longuè Longuè, le célèbre chanteur camerounais n’avait-il pas raison quand il a déclaré dans sa chanson : « l’on ne peut pas changer le destin. S’il est dit que tu seras quelqu’un, tu le seras avant de mourir… » ?. Pour la petite histoire, Zoumki lui-même concède après l’avoir écouté, que la chanson du Camerounais est le parfait résumé de sa vie.
En 1994, son diplôme d’Ingénieur en Bâtiments et Travaux Publics ne lui confère pourtant pas aussitôt la décence matérielle. Mais l’homme n’a pas que grandi, il a surtout mûri. Lui qui a été alternativement disciple de trois écoles. Celle des « Blancs » qui lui a donné l’instruction et la rigueur du jugement scientifique ; celle de la rue qui lui a procuré l’étoffe de la combativité et enfin celle de la vie d’où Zoumki tire humilité et sens de la mesure qui ne le quittent jamais. Habitué à faire les petits boulots pour satisfaire ses besoins primaires, il ne saute pas pieds joints sur les premières offres d’emploi qui se présentent à lui. Prenant le temps de réfléchir avant de franchir le pas, il a même eu l’audace de refuser poliment une proposition d’intégration à la fonction publique qu’une personnalité haut placée lui a faite. De même il déclinera l’offre d’une importante société pétrolière. En 1995 il décide de créer sa propre structure de BTP (Bâtiments et Travaux Publics). N’ayant pas de nom à vendre, son début dans ce nouvel univers fut une autre paire de manche dans l’océan de difficultés. Il doit faire face aux charges de fonctionnement du bureau alors qu’il ne gagne pas encore d’importants marchés. Il sait aussi que le chemin choisi est impitoyable. Il n’a pas droit à l’erreur. Cependant il a l’atout de l’endurance nécessaire acquise au cours de ses différentes pérégrinations. La patience et le sacrifice consentis ont fini par payer. Douze ans après sa création, ATREC – c’est le nom de l’entreprise – a le vent en poupe. Le pari de la référence est gagné pour ce jeune ingénieur de 43 ans. Loin d’être obnubilé par le succès, Zoumki surveille avec autant d’assiduité un chantier de deux millions que celui d’une centaine de millions. Il est bien souvent au bureau avant le planton. Difficile d’ailleurs de le reconnaître comme patron sur son lieu de travail à première vue. Placide en apparence, il est d’une extrême sensibilité face à la misère des hommes. Achetant un jour les journaux chez les vendeurs à la criée, il a remarqué que le garçon qui les vendait s’exprimait bien en français. Il ne put s’empêcher de lui demander son niveau. C’est après cet échange que Zoumki lui payera ses frais de constitution de dossier pour le baccalauréat. Et bien plus encore.
Il faut avouer que la compagnie de l’ancien pompiste de Figuil n’est pas toujours aisée. Autour d’une table, il peut sombrer dans un long silence que supportent mal certaines personnes. Affectionnant les histoires cocasses, il peut rire jusqu’à en avoir les larmes
Veste négligemment jetée sur ses larges épaules d’ancien docker, Zoumki vogue entre deux chantiers avec une rare débauche d’énergie. L’homme garde toujours une fraîcheur physique.
Marié, il est très attaché à son épouse et à leurs quatre enfants. Il me confia d’ailleurs un jour, lors d’un voyage : « je n’aimerais pas que le sort s’acharne sur ma progéniture comme je l’ai vécu moi-même.»
Comme par procuration, il voue une admiration sans borne aux hommes d’écriture et particulièrement aux journalistes. Un métier qu’il aurait aimé exercé si le destin n’avait pas fait de lui un ouvrier du béton, comme il aime bien à s’appeler. Inimitable dans sa trajectoire l’illustre aventurier de Figuil est en soi un cas d’école. Pour de nombreux jeunes africains qui croient que leur avenir se trouve à travers des voyages dans des embarcations de fortunes vers un quelconque eldorado en Occident. Comme quoi, on fait son lit comme on s’y couche.
Par Fidèle Komono Pofine