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TRIBUNE/AFRIQUE : Tout ça, pour devenir ça ?

Venance Konan

Nous avons tous vu, il y a quelques jours, ces insupportables images de milliers d’Africains qui tentaient d’entrer de force dans l’enclave espagnole de Melilla au nord du Maroc. Il y eut une terrible bousculade au cours de laquelle plusieurs d’entre eux trouvèrent la mort. L’Union africaine et une bonne partie de l’opinion publique africaine se sont émues devant ce drame et demandent qu’une enquête soit menée pour situer les responsabilités. 

Il m’est arrivé plusieurs fois de visiter le Maroc et de voir dans certains quartiers de Casablanca ou dans la région de Tanger, au nord du pays, des centaines de jeunes Africains solidement bâtis, ne souffrant d’aucun handicap apparent, en train de mendier aux carrefours pour avoir de quoi survivre. Dans les environs de Ceuta, l’autre enclave espagnole au Maroc, ce sont des milliers de personnes que j’ai vues qui campent là depuis des années parfois, dans des conditions épouvantables. L’espoir de tout ce monde est de pouvoir entrer un jour en Europe. Ceuta et Melilla, les deux enclaves espagnoles qui sont visées par les candidats à l’émigration, sont protégées par de hautes clôtures surmontées de barbelés, où des gardes armés et accompagnés de chiens patrouillent en permanence, mais rien de tout cela ne les dissuade. Régulièrement, ils tentent de prendre ces forteresses d’assaut et à chaque fois l’on déplore des morts. On voit aussi régulièrement les images de ces migrants morts noyés dans la Méditerranée, ou errants sur la mer à la merci des caprices des gouvernants européens. Et ces personnes réduites en esclavage ou traitées pire que des animaux en Lybie.

Que font en Europe ceux qui arrivent à passer ? J’ai vu en Italie des centaines de jeunes Africains venus après avoir traversé le désert et la mer en train de mendier dans les rues ou aux terrasses des restaurants et cafés. Certains vivent dans ce que l’on pourrait appeler des camps de réfugiés où ils sont pris en charge pendant un certain temps par les autorités et des associations. Juste pour un temps. Si vous allez à Paris, au quartier de la Goutte d’or, autour des métros Château d’eau et Barbès-Rochechouart, vous en verrez un grand nombre, en train de vendre tout et n’importe quoi, de la drogue à la banane et au maïs braisés, et de nombreuses femmes finissent dans la prostitution. Voici ce que dit Wikipédia de ce quartier : « l’insécurité est importante, avec des vols à la sauvette, du trafic de drogue et de la toxicomanie. Le quartier souffre en particulier de son trafic de crack et de cigarettes de contrebande, en particulier au métro Barbès-Rochechouart. Un autre des problèmes du quartier est la prostitution de très jeunes femmes d’origine africaine, tenues par des proxénètes à qui elles doivent rembourser le prix de leur passage en France ou qui promettent des représailles sur leurs familles restées en Afrique si elles n’obéissent pas. » Ceux et celles qui arrivent à avoir des boulots de vigiles ou de nounous ou bonnes à tout faire sont de sacrés veinards. Chaque fois que je vois cela je me dis : « prendre tous ces risques, pour venir devenir ça ? Quel sens donnent ces gens à leur vie ? » Mais il est difficile de se mettre à la place des autres lorsque l’on ne vit pas leurs réalités. Cependant il est difficile de ne pas être pris d’une immense pitié ou parfois d’une grande colère devant ce qui apparait souvent comme un gâchis. Parce qu’au bout du compte, ils finissent, pour un grand nombre d’entre eux, par réaliser qu’ils vivaient parfaitement mieux chez eux malgré tout.

Il y a une douzaine d’années je m’étais rendu dans le nord du Mali pour faire un reportage sur les candidats à l’émigration qui étaient refoulés et bloqués dans la petite bourgade frontalière de Tin-Zaouaten. J’étais en compagnie de deux membres de l’Association malienne des émigrés et d’un jeune prêtre tanzanien. Nous n’avions pas pu atteindre la ville de Tin-Zaouaten parce que les soldats maliens nous en avaient dissuadés à cause des rebelles touarègues qui avaient à cette époque, commencé à pointer le bout du nez dans la région, et de ce fait nous sommes restés à Kidal. Il y avait là des centaines de jeunes Africains refoulés par l’Algérie ou des pays européens qui survivaient grâce à des associations et en faisant de petits boulots ou en mendiant. Aucun de ceux que nous avions rencontrés n’envisageait de renoncer à son rêve d’aller en Europe. Un jeune Togolais nous dit froidement qu’il préférait mourir plutôt que de retourner dans son pays. Aucun d’entre eux ne savait ce qu’il envisageait faire en Europe, mais ils étaient tous persuadés que ce serait forcément mieux que chez eux. Tout ça pour devenir quoi ? 

Par Venance Konan

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