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TRIBUNE : Le Burkina et moi : 30 ans déjà !

Serge Mathias Tomondji

Il n'est pas aisé de se raconter, mais après trente années au Burkina, j'ai pensé qu'il serait utile de relater quelques péripéties de mon arrivée dans ce pays qui m'est cher et dans lequel je viens de passer la moitié de mon existence...

5 janvier 1993. Aux environs de 3 heures du matin, un jeune homme un peu perdu débarque à la gare routière de Larlé, après quasiment 72 heures d’une odyssée éreintante. Parti de Cotonou au soir du 2 janvier et après une réjouissante traversée des 415 kilomètres qui séparent la capitale économique du Bénin de Parakou, l’une des grandes villes du nord du pays, je découvre combien il n’était pas du tout aisé de rallier, à partir de là, la capitale du Burkina Faso. Il a en effet fallu trouver des bus de fortune, d’abord pour rejoindre Natitingou, et ensuite pour arriver à Tanguiéta, toujours au Bénin, sur des routes fortement poussiéreuses et escarpées, avec plein d’escaliers qui montent et qui descendent, dans un infernal tango dans lequel les chauffeurs devaient maîtriser l’art du slalom.

Après une journée entière de ce double périple — Parakou-Natitingou, puis Natitingou-Tanguiéta, avec deux bus différents — me voici, au soir du 3 janvier à Tanguiéta, où il a fallu passer la nuit pour emprunter, le lendemain, 4 janvier 1993 à 14 heures, un bus de la défunte Régie nationale des transports en commun X9 du Burkina. 

C’est donc à bord de ce bus, qui transporte beaucoup de commerçants, que je découvre pour la première fois les paysages du « pays de l’Homme intègre ». À vrai dire, je les devine plus que je ne les découvre, l’essentiel du voyage, peu après la frontière entre les deux pays, s’étant déroulé de nuit : Pâma, Fada N’Gourma, Koupéla, Zorgho et enfin Ouagadougou! 

Dans ma tête, résonne la mélodie du Camerounais André-Marie Tala vantant gaiement « Ouagadougou (et) le soleil (qui) chante dans la rue ». Mais il était, à ce moment-là, un peu plus de 3 heures du matin et le froid de l’harmattan dardait tout mon être. Je ne savais pas alors que ce « pays des extrêmes climatiques » n’autorisait pas, en cette période de l’année, mon léger complet sans col et manches courtes qui ne me protégeait aucunement de ce froid sidéral. Mon supplice a duré toute la matinée, jusqu’au moment où, à la mi-journée, j’ai pu me reposer de mon bien pénible voyage dans la chaleur relative du salon de Paul Amoussou Lifi, résident dans ce pays depuis 1962, et que je ne connaissais ni d’Adam, ni d’Eve, en foulant pour la première fois de mon existence la gare de Larlé. Paul Amoussou — décédé le 26 septembre 2020 — et sa formidable famille m’ont accueilli à bras ouverts et m’ont assuré le gite et le couvert pendant mes premières semaines de vie au Burkina. Une histoire dans l’histoire… 

BELLE AVENTURE

Je suis donc arrivé dans ce beau pays, le Burkina Faso, au petit matin du mardi 5 janvier 1993! Le même jour, dans l’après-midi, je signe mon premier contrat de travail avec le quotidien Le Pays. J’étais en effet attendu, ayant envoyé un dossier au Directeur de publication, Boureima Jérémie Sigué, fondateur, depuis octobre 1991, de ce titre. Ce dernier avait demandé à mon ami et confrère Anicet Laurent Quenum s’il pouvait lui recommander un journaliste pour étoffer sa Rédaction à Ouagadougou. Pour avoir été rédacteur en chef du magazine « Voix d’Afrique » édité à Abidjan, en Côte d’Ivoire, Boureima Jérémie Sigué, que je n’avais alors jamais rencontré, est un panafricain dans l’âme qui, une fois de retour dans son pays, a voulu donner cette coloration multinationale de « Voix d’Afrique » à son journal.

Je fais donc connaissance avec le patron de « Le Pays » vers 8h30 ce 5 janvier-là, dans son bureau de l’immeuble Wog-Wandé, situé près du grand marché Rood-Woko de Ouagadougou. J’avais en effet pu joindre, en taxi, les locaux du journal autour de 5 heures, sur les indications de Yassia, un agent de l’entreprise, avec lequel j’ai pu échanger au téléphone à partir de la gare de Larlé. Yassia est venu me chercher au niveau de l’immeuble Photo Luxe attenante, destination de mon taxi. 

Après avoir rongé mon frein pendant plusieurs heures d’horloge, colonisé que j’étais par le sommeil, la fatigue et l’impatience dans le cagibi qui me servait de refuge provisoire, « Monsieur Kaba » vient enfin m’introduire chez le patron. Ah, « Monsieur Kaba » ! Un homme droit et sage qui, malgré la barbe blanche qui lui mangeait le menton et les cheveux grisonnants qui peuplaient sa tête, savait vous mettre à l’aise et trouver des solutions à vos problèmes. C’est d’ailleurs grâce à ce bon « Monsieur Kaba », l’homme à la Vespa, secrétaire du directeur de publication du quotidien Le Pays, que j’ai pu trouver une intermédiation heureuse à la question de mon logement à Ouagadougou, où je ne connaissais alors personne!

J’étais toujours transi de froid quand je rencontre enfin Boureima Jérémie Sigué ce fameux matin. Notre bref entretien est franc et cordial. Mon dossier, déjà riche d’un prérequis de cinq années dans la presse béninoise, a facilité, m’a-t-il semblé, le choix de ma personne pour cette place de journaliste au sein de la Rédaction du quotidien « Le Pays », qui allait alors sur ses quinze mois d’existence. J’ai en effet fait mes premières armes de journaliste au quotidien national Ehuzu (aujourd’hui La Nation) du Bénin, au moment où ce pays était encore sous le régime révolutionnaire de Mathieu Kérékou. Avant de raffermir quelque peu ma plume, au lendemain de la conférence nationale de février 1990, dans divers titres de la presse privée, générée par la libération de la parole et de l’expression des idées portée par le renouveau démocratique.

HOMMAGE ET CONSIDÉRATION

C’est d’ailleurs sur cette vague démocratique que je produis mes premiers articles au sein de la Rédaction du quotidien Le Pays, où j’ai effectivement commencé à travailler le 6 janvier 1993. Je rédige ainsi le « Dialogue intérieur » (édito) du 7 janvier 1993, consacré à la situation sociopolitique du Togo, donnant le la à une belle aventure de plus de cinq années avec Le Pays.

Je me dois ici de remercier sincèrement Boureima Jérémie Sigué, fondateur et P-DG des Éditions Le Pays, qui a cru en moi sans m’avoir vu ni pratiqué, mais qui m’a donné ma chance de faire partie de son équipe, alors que je venais de 1 025 kilomètres de là, puis qui m’a énormément valorisé tout au long de mon séjour dans cette écurie de la presse burkinabè. 

En témoigne, entre autres, les fonctions qu’il m’a permis d’assumer, me laissant vraiment chaque fois carte blanche pour opérer les changements et les percussions que j’ai jugés nécessaires: rédacteur en chef adjoint dès le 1er février 1993, soit seulement un mois après mon arrivée dans l’entreprise, j’ai successivement été nommé rédacteur en chef, en septembre 1993, directeur de la Rédaction à partir de mars 1994, puis directeur des Rédactions (du quotidien Le Pays, de l’hebdomadaire Évasion et du mensuel Votre Santé), le 1er juin 1996.

En remerciant Jérémie Sigué, dont je m’honore encore aujourd’hui de l’estime, je pense aussi particulièrement à Liermè Somé, Rédacteur en chef du quotidien Le Pays au moment où j’y arrive, en 1993, et à Jean-Gabriel Tiendrébéogo, maquettiste, tous les deux aujourd’hui décédés. Puissent leurs âmes reposer en paix, ainsi que celle de Étienne Kafando, photographe, arraché à notre affection le 6 octobre 2021.

Je voudrais aussi saluer, vivement et confraternellement, Émile Bayala, qui assurait l’intérim du rédacteur en chef quand j’ai débarqué dans cette Rédaction. Émile Bayala a d’ailleurs été le tout premier rédacteur en chef du mensuel Votre Santé. Son calme, sa tempérance et son professionnalisme ont forgé notre compagnonnage professionnel. Bien entendu, je n’oublie pas toute la joyeuse équipe en place au moment que l’intègre, avec une mention spéciale à… Ousmane Victor Doussa, qui m’a ensuite cédé le « Une chambre-Un salon » qu’il occupait dans un célibatorium pour régler mon problème de logement, alors qu’il s’est engagé pour l’enseignement seulement trois semaines après mon arrivée, et a été affecté dans une localité voisine. 

MERCI À TOUS !

Cela fait donc 30 ans que je suis là, dans ce pays qui m’est cher, et où je me suis fait beaucoup d’amis, de connaissances, de frères et de sœurs. Cela fait trois décennies que je participe, ici, au débat national et africain dans le domaine qui est le mien, recevant aussi au passage beaucoup de grâces et d’enseignements des uns et des autres, de mes estimés confrères, de mes aînés, d’hommes et de femmes de toutes catégories et de toutes conditions.

Je reste reconnaissant envers tous ceux qui, employeurs, collaborateurs, collègues, confrères, personnes ressources diverses, amis… m’ont ensuite porté au cours des différentes étapes de mon parcours professionnel en dents de scie, et de ma trajectoire personnelle tressée à l’osier de sacrifices, surtout à l’égard de ma famille, qui a beaucoup pâti de ma passion pour ce noble métier.

Merci à vous tous — qui étiez sur ma route, dans la lumière ou dans l’ombre, dans les bons comme dans les mauvais moments, qui m’avez remis sur le chemin, qui m’avez apporté réconfort, tendresse et soutien dans les périodes de spleen, et qui continuez de semer de l’enthousiasme et de l’espoir dans ma vie… — pour cet anniversaire que je commémore pour l’heure dans la discrétion, l’émotion et l’introspection. Merci de m’avoir tant apporté et de m’avoir accepté avec une belle fraternité dans ce beau pays, qui est aussi désormais le mien.

Le Burkina, je le pense, restera beau dans l’âme, beau dans l’expression de la solidarité, malgré tout ce qui nous arrive aujourd’hui. Nous avons tous ensemble vécu tant de belles choses que je ne désespère pas en demain…

© Serge Mathias Tomondji
Ouagadougou, 8 janvier 2023

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