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TCHAD/HISTOIRE - Les Sao, entre controverses et réalités historiques : pourquoi Cheikh Anta Diop avait raison…

Le Savant sénégalais Cheikh Anta Diop.

Partagés entre ce qui est actuellement le Tchad, le Cameroun, le Nigeria et le Niger mais principalement basés autour du Lac Tchad ; les Sao qui ont créé l’une des plus grandes et brillantes civilisations d’Afrique Noire ont longtemps fait l’objet de légendes. Et de controverses aussi. Le Savant sénégalais Cheikh Anta Diop qui s’est très tôt penché sur leur histoire pour affirmer qu’ils étaient déjà au Lac Tchad environ 2300 ans avant Jésus-Christ, avait été violemment pris à partie par certains de ses pairs pour sa théorie. Et pourtant…

Contre tous ses détracteurs qui lui reprochaient d’affirmer sans preuves que les Egyptiens anciens appelaient les Sao du Lac Tchad par Tehenou ou Noirs de grande taille du nom de So, le Professeur Cheikh Anta Diop avait donc raison. S’il ignorait que les Sao faisaient partie intégrante de la Diaspora des Roi-Prêtres de la Vallée du Nil, son génie lui a cependant permis de découvrir qu’ils y étaient depuis plusieurs millénaires et qu’ils avaient gardé des liens avec ceux qui étaient restés dans leur berceau originel.

En définitive, les critiques sans ménagement dont parle Manga Makrada Maïna, Historien et gestionnaire du patrimoine, dans son étude des Sao n’étaient que par manque de précisions. Cheikh Anta Diop mentionne la présence des Sao environ 2300 ans avant Jésus-Christ. Cependant, l’hypothèse d’une datation encore plus ancienne n’est pas à écarter. D’autant plus qu’à cette époque déjà la langue liturgique commune à ceux qui ont migré en Inde 15.000 ans avant Jésus-Christ et les Sao établis au Lac Tchad n’étaient plus utilisée à la fois dans la Nubie antique et dans l’Egypte antique. Sauf preuves contraires de son existence que tous les textes explorés sur l’Egypte antique, du moins que l’Egypte Dynastique et voire Proto-dynastique ne fournissent pas à ce jour.

Aussi loin que l’on remonte dans les traditions initiatiques africaines, le peuple qui a donné ses fondements à la Civilisation égyptienne est connu sous le nom de Luo ou Louo ou Lwo ou Lo. Ce qu’il reste des anciens peuples dits Luo, c’est ceux qui ont manifestement gardé le nom, sans doute parce qu’ils n’ont pas migré aussi loin que le point de naissance ou d’origine de ces énigmatiques Luo.

Néanmoins, il est très important d’insister ici pour dire que le terme Louo désignait anciennement de manière générique le « Prêtre » ou pour être plus exact sémantiquement parlant : le « Sacrificateur » et qui est intimement associé à l’eau. Dans les premiers temps comme disaient les Égyptiens anciens, ces « Sacrificateurs » occupaient en même temps les fonctions de chefs de tribus et gardiens des temples. Ils étaient au sommet de la pyramide, puis venaient toutes les autres composantes de leurs tribus. Il ne pouvait d’ailleurs pas en être autrement. Etant donné que depuis la création des mythes, les « Prêtres » ou « Sacrificateurs » sont demeurés les vrais maîtres de nos sociétés, même lorsque les royautés ont fait leur apparition. Ce n’est sans doute pas le fait du hasard si le Pharaon devait être aussi initié pour assumer pleinement sa fonction de « Roi-prêtre ».

Dans un article sur les origines des Luo, le Dr Terence Okello Paito fait remarquer que l’égyptologue Henri Hans Frankfort fut l’un des premiers à remarquer déjà en 1948 que les Africains et les Luo en particulier avaient un lien direct avec les anciens Égyptiens. Cheikh Anta Diop le confirmera par la suite à travers ses travaux sur la parenté entre les Langues Négro-africaines et l’Égyptien ancien. Et bien avant lui, Evans-Pritchard identifiera les Luo comme les premiers peuples nilotiques à s’établir dans la Vallée du Nil et à fonder le Royaume de Kouch. Tout comme James Edward Quibell avant eux, et bon nombre d’égyptologues occidentaux, Henri Hans Frankfort fut notamment son collègue Ernest Alfred Thompson Wallis Budge, parmi les premiers à se résoudre à dire que la Civilisation de l’Egypte antique appartient à l’Afrique Noire plutôt qu’à l’Asie. Et cela, après l’avoir étudié dans ses aspects à la fois ethnique, religieux et culturel.

Pour le Dr Terence Okello Paito : « Les Luo sont les véritables fondateurs de l’ancienne civilisation d’Itiyo-Pi-Anu connue comme Koush (Coush ou Koush). Le royaume de Koush a connu une expansion à travers l’Égypte, l’Arabie, la Mésopotamie et la Phénicie (*1) ». Les tribus Luo, dans les temps les plus anciens, étaient établies du Soudan jusqu’au Congo en passant l’Éthiopie, l’Ouganda, le Kenya, la Tanzanie. Si ces anciennes tribus ont sans doute connu par le passé des migrations qui les ont emmenées à se disperser en plusieurs autres rameaux à travers l’Afrique, chacun desdits rameaux a souvent gardé la plupart du temps sont référent principal qui est Lou ou Lo pour témoigner de son attribut de « Sacrificateur » ou « Prêtre » en rapport avec le divin. Luo ou Louo ou Lwo ou Lo n’est qu’un diminutif de Noun-Yo-Lo, c’est-à-dire ou le Prêtre- Sacrificateur du Noun, le nom par lequel les Natemba (Ndlr : peuple du Nord-Ouest du Bénin) s’appellent eux-mêmes. Sans doute qu’étant plus proche du Noun, les Louo ou Lwo ou Luo n’ont point eu besoin de faire référence à leur berceau originel comme ceux du Lac Tchad ou bien plus tard du Gourma au Burkina Faso l’ont profondément ressenti pour ne point oublier d’où ils venaient. De la même façon que le nom Sao a pu devenir le nom de plusieurs populations alors qu’il désigne Dieu à l’origine, c’est aussi de cette manière-là que le nom Louo ou Lwo ou Luo l’est devenu alors qu’à l’origine il désigne le Prêtre qui officie pour les Rituels chez les Nubiens anciens.

Le nom Kongo ou Congo qui sert à désigner aujourd’hui deux pays voisins que sont la République démocratique du Congo (RDC) et la République du Congo dont la capitale est Brazzaville, est issue de ce nom ancestral des Louo ou Lwo ou Luo. Même si le nom Kongo était aussi associé à un royaume dont la territorialité s’étendait à l’actuel République d’Angola.

A propos de l’origine du nom ancestral Kongo, les informations recueillies par Arol Kethchiemen et publiées dans son ouvrage Dictionnaire de l’origine des noms et surnoms des pays africains, paru aux Editions Favre en 2014 sont tout à fait exactes, à condition d’être contextualisées. A savoir que « Kongo » signifie « allié de la panthère », qui dérive de du morphème « Ko-ngo ». Le Ko-ngo étant effectivement le Chef à Peau de Léopard, la plus ancienne forme de Chefferie connue en Afrique Noire et qui connue de survivre en passant par l’Egypte antique. Le Chef à Peau de Léopard était à la fois Roi et Prêtre. A en croire les informateurs de Arol Kethchiemen, c’est le fait d’aller se réfugier chez le Chef et Protecteur du Royaume « Tuele ku Ngo », qui aurait disaient-ils (Ndla : « Nous allons chez le léopard ») qui aurait finalement donné de manière elliptique en langue congolaise « ku Ngo » et que l’on a traduit en langues étrangères Kongo ou Congo. Il n’y a donc aucune incertitude quant à l’étymologie du nom Kongo ou Congo.

Le Prêtre jésuite camerounais Engelbert Mveng, auteur de plusieurs œuvres sur la théologie, l’anthropologie, l’art et l’histoire a raison pour sa part aussi lorsqu’il écrit fort joliment dans L’Art et l’artisanat africains, paru aux Editions Clé en 1980 à Yaoundé, au Cameroun : « L’histoire négro-africaine est écrite en œuvres d’art. Le déchiffrement de cette histoire ouvre une page d’épigraphie singulière et inédite. Il n’est plus vrai de dire que l’histoire négro-africaine manque des documents écrits, ce qui est vrai c’est que souvent nous sommes analphabètes devant son écriture (*2)».

C’est une constatation d’autant plus vraie que l’Afrique Noire est l’endroit au monde où l’on compte le plus de langues. Et chacune d’elle véhicule des documents d’archives plusieurs fois millénaires dans maints domaines. Il suffit aux Noirs d’Afrique d’écrire leurs langues pour se rendre à l’évidence qu’ils possèdent encore la plus grande bibliothèque du monde. Et il revient, comme l’a dit Engelbert Mveng, de résoudre le problème de l’analphabétisme des Noirs d’Afrique devant leurs propres langues. Comment comprendre son Histoire si l’on ne comprend pas la langue dans laquelle elle est écrite !

Le Patrimoine des Sao ne se résume pas en leurs mythes et légendes ou encore en leur art extraordinaire et autres objets ou matériaux découverts par les archéologues dans leurs fouilles ou recherches. Au-delà de ces biens matériels, il y a l’immatériel qui n’est pas le moins important, loin s’en faut. Contrairement à tout ce qu’il est possible d’imaginer, les Sao du Lac Tchad pourraient avoir été les derniers détenteurs d’une langue commune à la fois aux Ancêtres des Egyptiens anciens et des Dravidiens du Sud de l’Inde datant d’au moins 15.000 ans avant Jésus-Christ, c’est-à-dire la plus ancienne langue commune dans la Vallée du Nil. Les Natemba actuels au Nord-Ouest du Bénin parlent cette ancienne langue, ou ce qu’il en reste pour ainsi dire, parce que leurs Ancêtres ont su dire non à la fois à l’Islam et au Christianisme et ont gardé et défendu jalousement leur religion traditionnelle. Cette langue ancienne ayant été exclusivement préservée par les Prêtres réfractaires issus de l’Aristocratie des Mamproussi du Nord du Ghana auxquels ils appartenaient avant de devenir un Peuple autonome.

Intervenant au Colloque organisé par l’UNESCO Le Peuplement de l'Egypte ancienne et le déchiffrement de l'écriture méroïtique en 1974, sur l’étude des migrations en partance du Soudan et en direction d’autres régions de l’Afrique Noire, le Professeur Cheikh Anta Diop avait fait des propositions au Colloque du Caire. Entre autres, il avait déclaré concernant le premier point:

« Pour abonder dans le sens vraiment, dans le sens du Professeur Vercouter, et apporter une précision, c’est pour cela que j’interviens. Je voudrais dire ceci que, une mission, enfin l’étude de la région du Darfour, le Darfour est presque contiguë, pas tout à fait mais enfin c’est à l’Ouest de cette région dont je viens de parler. Alors euh, en fait, La migration s’est scindée en deux. Il y en a une qui longe en quelque sorte le Tropiques, qui est entre les deux Tropiques, si vous voulez entre le Tropique et l’Equateur, et qui s’est glissée dans ce couloir, n’est-ce pas, jusqu’au niveau du Sénégal. Et l’autre qui a immédiatement suivi la Vallée du Zaïre au niveau de la Vallée du Uélé que l’on peut absolument jalonner et qui arrive jusqu’à l’Océan Atlantique, qui remonte un peu la côte, et qui s’arrête au niveau du Cameroun. Et alors, donc les populations qui sont dans la région du Golfe de Guinée, c’est-à-dire les Yorouba et autres, apparaissent comme des populations piégées. Et nous voyons là une superposition de deux populations, nous voyons que la migration Yorouba et la migration de la région du Golfe de Guinée est une migration antérieure et alors l’autre est venue la prendre presque comme en tenaille parallèlement d’une part et avec une descente. Donc, en étudiant le Darfour, on étudierait bien le point de départ de ces migrations, c’est-à-dire toute cette région du Haut-Nil que Madame Blanc avait signalée. Je voudrais que cette région soit inclue. La région des Nuer-Shilluk-Dinka-Kaw Kaw avec accent mis sur l’étude des Kaw Kaw particulièrement qui risquent de disparaître. Donc ça, je pense que, une mission dans cette région, où il y aurait – non pas moi parce que je n’ai plus le courage de faire partie de telles missions, donc je suis exclu – une mission où il y aurait des Sénégalais que l’on prendrait, ou en tout cas des gens qui sont censés être venus de cette région qui redécouvriraient plus facilement les noms et les ethnies, hein…qui redécouvriraient en quelque sorte le point de départ de leurs tribus ou de leurs clans, je crois que c’est une mission qui présenterait un grand intérêt et qui serait justement une mission pluridisciplinaire. On pourrait…Il ne s’agirait pas de composer seulement cette mission avec des Sénégalais. Mais il faudrait que, en plus, il y ait des spécialistes en linguistique qui viendraient de l’Ouganda ou d’autres régions, des spécialistes de telles autres langues, etc. Mais que dans le groupe il y ait quand même quelques éléments qui ont une certaine formation, mettons du niveau de la Licence, en train de préparer des thèses de troisième cycle, venant des régions où ces migrations sont censées avoir abouti… (*3) ».

Malheureusement, cette proposition de Cheikh Anta Diop, la moins compliquée et la moins coûteuse, n’a jamais été mise en oeuvre. Passé le fameux Colloque du Caire de 1974, les milieux universitaires et scientifiques n’ont pas cru devoir suivre les recommandations du Savant sénégalais. Et pourtant, elles auraient pu permettre de recueillir de précieuses informations en son temps, avant la disparition de nombreux Gardiens des Traditions ou Griots qui ont depuis rejoint le Pays d’où l’on ne revient jamais comme diraient les Natemba et les Batammariba.

Même avec des décennies de retard, il ne serait pas inutile que l’UNESCO ou à défaut l’Union africaine (UA) organise cette mission Cheikh Anta Diop. Car, il y aura très certainement bien des choses à en apprendre encore, pour la mémoire collective, malgré le temps perdu.

En tout état de cause, Cheikh Anta Diop avait bel et bien raison : les Sao étaient déjà au Lac Tchad environ 2300 ans avant Jésus-Christ. Pour établir le lien entre les Sao du Lac Tchad et les Egyptiens anciens, il faudrait remonter à Horus Crocodile plus connu en Egyptien ancien sous le nom de Shendjw ou Hor Sehendet. Certains égyptologues, à l’instar de Günter Dreyer qui l’a découvert, pensent qu’il a régné presque au même moment que Ka ou Sékhen. Le débat entre égyptologues au sujet du nom Iry-Hor et la traduction admise, à savoir Wr-r3 ou Ouer-Ra  qui signifie littéralement « Grande bouche » et en d’autres termes « Porte-parole » ou « Chef » d’après Peter Kaplony, corrobore s’il en était encore besoin et de manière évidente le lien des Natemba actuels avec l’Egypte Prédynastique. Au demeurant, Wr-r3 ou Ouer-Ra  équivaut tout à fait à Roi-Prêtre ou Prêtre-Sacrificateur.

Par Marcus Boni Teiga

*1 - Terence Okello Paito, Luo origin of civilisation, http://www.acholitimes.com/cultureacholi/index.php/culture/6-luoorigin-…, Acholi Times, 22 june 2011
*2 - Engelbert Mveng, L’Art et l’artisanat africains, Yaoundé, Ed. Clé, 1980, p.152
*3 – Cheikh Anta Diop, Intervention au Colloque organisé par l’UNESCO sur Le Peuplement de l'Egypte ancienne et le déchiffrement de l'écriture méroïtique, Caire, 1974

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