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NIGERIA/ELECTION PRESIDENTIELLE 2023 : Bola Tinubu, Peter Obi, Atiku Abubakar… : Qui pour succéder au Président Buhari ?

Le Président Muhammadu Buhari du Nigeria lors de son accession à la magistrature suprême en 2015
Le Président Muhammadu Buhari du Nigeria lors de son accession à la magistrature suprême en 2015.

La campagne électorale au Nigeria a l’allure d’une véritable course de fond. Elle est à la dimension de ce grand pays d’Afrique de par sa taille et sa population. Commencée en début d’octobre 2022, elle devra se conclure le 25 février 2023. En attendant que la vingtaine de candidats en lice soient départagés par les électeurs. Avec l’élection du Président de la République, il y a aussi celle des Gouverneurs et des Députés qui fait de 2023 une année électorale pour les Nigérians.

Au total, dix-huit candidats se sont présentés au départ de l’élection présidentielle à la succession du Président Muhammadu Buhari au Nigeria. Mais le bipartisme traditionnel du pays depuis que les militaires se sont abstenus de s’immiscer continuellement dans la vie sociopolitique a repris ses droits. Et, au-delà des deux grands partis du pays qui fonctionnent à l’américaine, en l’occurrence All Progressives Congress (Congrès des progressistes (APC), le parti présidentiel, et le Peoples Democratic Party (Parti démocratique populaire (PDP), le parti d’opposition, il existe d’autres petits partis ainsi que des indépendants qui participent à ces échéances électorales. 

Après deux mandats successifs à la tête du pays, entre 2015 et 2023, le Président Muhammadu Buhari attend le dénouement de cette longue campagne électorale pour connaître le nom de son successeur. Son parti, l’APC, a présenté Bola Ahmed Tinubu pour défendre ses couleurs tandis qu’un vieil adversaire en la personne d’Atiku Abubakar, du PDP qui revient pour tenter sa chance. Mais entre ses deux candidats, il y a pour une fois, des personnalités fortes qui se présentent aux Nigérians et se posent comme des alternatives aux deux partis politiques traditionnels qui dominent l’échiquier politique national. Il s’agit de Peter Obi du Labour Party (Parti travailliste (LP), ancien candidat à la Vice-présidence d’Atiku Abubakar lors de la présidentielle passée et Rabiu Kwankwaso du New Nigeria Peoples Party (Nouveau parti du peuple nigérian (NNPP), ancien ministre de la Défense et l’ancien gouverneur de Kano, tous deux aspirants à gouverner leur pays au même titre que les candidats de l’APC et du PDP. 

Le « Zoning » ou « Zonage », un gentlemen's agreement qui vole en éclats

Pendant longtemps, les différentes composantes ethniques et politiques du Nigeria avaient décidé d’adopter ce que l’on a appelé le principe du « Zoning » ou « Zonage », qui consiste en une sorte de gestion tribale de la fédération, en version plus moderne. Mais la présidentielle de 2023 a vu ce principe voler en éclats dans la désignation des différents candidats. Le gentlemen's agreement qui avait souvent prévalu semble ne plus être d’époque. Et pour cause, avec la configuration de cette élection présidentielle, la présidence ne verra pas s'alterner comme auparavant tous les deux mandats entre un candidat du Nord, majoritairement musulman, et un candidat du Sud, majoritairement chrétien. Pour des raisons d’équilibre géopolitique et de stabilité entre toutes les communautés qui ont en commun le partage de ce vaste territoire. Malheureusement, pour des raisons inavouées, les grands blocs politiques du pays ont décidé de faire fi de cette donne de géopolitique nationale pour la Présidentielle de 2023. Les deux candidats sont certes tous des Musulmans, mais l’un est du Nord, à savoir Atiku Abubakar du PDP et Bola Ahmed Tinubu de l'APC au pouvoir du Sud. A la suite du Président Muhammadu Buhari, lui aussi Musulman.

Les deux mandats de Muhammadu Buhari : un passif pour le PDP

En 2015, pour battre son prédécesseur et désormais ancien Président Goodluck Jonathan, le Président Muhammadu Buhari avait axé sa campagne électorale sur deux principales thématiques : la lutte contre la corruption et la lutte contre le terrorisme et l’insécurité. Or, sur ces deux préoccupations des Nigérians, l’on peut affirmer sans aucun risque de se tromper que l’ancien Général de l’Armée qui avait promis de mettre de l’ordre et de balayer la maison Nigeria, a lamentablement échoué. Et c’est le moins que l’on puisse en dire.

Le Président Muhammadu Buhari lu-même est toujours resté intègre et égal à lui-même. Au point de déclarer au Roi Charles III lors d’une visite au du Royaume-Uni qu’il n’a pas de maison du Royaume-Uni et qu’il n’en avait pas besoin. En revanche, l’on ne peut pas en dire autant de son entourage. Beaucoup de Nigérians lui reprochent d’ailleurs non pas seulement son laxisme en matière de gestion de la crise sécuritaire et des conflits socioethniques au Nigeria, mais également le fait qu’il n’a su rien faire pour empêcher l’expansion de la corruption, du terrorisme et de l’insécurité dans son pays au cours de ses deux mandats.

Une campagne mouvementée comme une guerre sans merci

Les différents candidats ont investi les moyens de communication pour faire entendre leurs messages au cours de cette campagne. Aux traditionnels voyages aux Etats-Unis et au Royaume-Uni pour les candidats et leur staff, se sont ensuivi de grands déploiements de moyens de communication digitale, en direction des électeurs de l’intérieur comme ceux de la Diaspora nigériane dont le poids compte beaucoup sur les choix des candidats.

Bola Tinubu a repris le « Balai », porte-étendard de la campagne précédente du Président Muhammadu Buhari. Mais ses adversaires du camp d’Atiku Abubakar ne se sont fait prier pour le moquer. En se demandant ce qu’il pourrait encore faire avec son « Balai ». Lui, dont la fortune a été bâtie par la corruption. Mais du côté de Bola Tinubu, les adversaires ne manquent pas d’opposer les mêmes arguments aux partisans d’Atiku Abubakar concernant leur champion. Les partisans du PDP vont plus loin en montrant du doigt le porte-flambeau du « parti du Balai », comme certains Nigérians l’appellent désormais, en l’occurrence Bola Tinubu, comme ayant construit sa fortune autour de plusieurs trafics dont celui de la drogue. Et Paul O. Ibe, l’un des communicants d’Atiku Abubakar n’y va pas de main morte pour brandir des documents à l’appui et assener: « En 1999 Bola Tinubu Asiwaju Bola Ahmed Tinubu a menti sous serment dans son formulaire CF001 de la Commission électorale nationale indépendante (INEC) lorsqu'il a affirmé avoir fréquenté l'Université de Chicago et le Government College d'Ibadan. C'était un mensonge flagrant en 1999 et reste un mensonge en 2022 car il n'a jamais fréquenté ces deux institutions. Le document notarié ci-joint 1 prouve au-delà de tout doute raisonnable que Tinubu a menti sous serment au sujet de sa fréquentation de l'Université de Chicago et, selon l'interprétation de la Cour suprême, a falsifié des documents relatifs à sa prétention de fréquenter l'Université de Chicago et le Government College, Ibadan. La copie certifiée conforme de son propre affidavit (pièces 2 à 5) est placée côte à côte avec l'acte notarié pour montrer qu'il n'a pas seulement menti sous serment mais qu'il a falsifié les documents. Oui, cela fait 30 ans que Bola Tinubu a menti sous serment, mais le crime ne pourrit pas »

Paul O. Ibe, va plus loin en mentionnant et en insistant sur le fait que l’adversaire de son candidat a été, par le passé impliqué dans un trafic de drogue aux Etats-Unis. Une implication qui lui aura coûté 460 000 $ en son temps. Et dépit de la contestation des partisans de Bola Tinubu, il n’en démord pas en brandissant toujours ses preuves pour dire qu’aucun mensonge de Festus Keyamo ou de quiconque ne peut blanchir le fait incontestable que Tinubu a été inculpé de trafic de drogue aux États-Unis. En effet, selon Festus Keyamo, Juriste, Critique et Activiste, par ailleurs soutien de Bola Tinubu, la confiscation de ladite somme était plutôt destinée aux paiements d’impôts et n’avait rien à voir avec un quelconque trafic de drogue.

A la suite de l’intervention de Bola Tinubu, le candidat de l'APC à Chatham House, le Docteur Victor Moïse, Secrétaire à communication nationale de l’Organisation des Soutiens à Atiku Abubakar, a déclaré dans un communiqué de presse : « Nous avons observé avec la plus grande déception et une incrédulité choquante le manque d'un atome de capacité du candidat présidentiel de l'APC, Bola Tinubu, à fournir des réponses de base aux questions directes qui lui étaient adressées à Chatham House. Le fait que Bola Tinubu n'ait pas pu apporter de réponses aux questions fondamentales, notamment sur la manière d'améliorer les relations bilatérales dans le domaine de la défense avec le Royaume-Uni, mais ait fait appel à El-Rufai, Gbajagbiamila, Betta Edu & co pour le secourir montre que le Nigeria peut être dans une calamité majeure à venir. En fait, tout le programme de l'APC à Chatham House était un spectacle de honte et d'embarras pour le Nigeria. Il est maintenant clair pour tous les Nigérians pourquoi Tinubu a esquivé le débat AriseTV TownHall. Ses capacités mentales ont montré une marque complète de détérioration, et il ne peut pas faire face à un débat ou à une conversation en tête-à-tête sur ses projets pour le Nigeria. Le maintien du gouvernement APC serait un désastre majeur pour le Nigeria. Alors que les élections de 2023 se rapprochent, nous souhaitons appeler les Nigérians à ne pas être trompés ou induits en erreur par l'APC pour apporter la calamité sur la nation. Nous en avons assez sous le président Mohammadu Buhari. Soutenons et votons tous comme un seul peuple pour Son Excellence, Atiku Abubakar, un politicien expérimenté, un administrateur chevronné, un philanthrope compatissant et un homme d'affaires accompli pour apporter la prospérité à chaque foyer ».

Tout cela est pourtant bien loin d’impressionner ni de déstabiliser le candidat du parti au pouvoir. Il continue allègrement sa campagne en affichant sa décontraction et sa bonhomie teintée de beaucoup d’humour et de moqueries, sa marque de fabrique, à l’endroit de ses adversaires.

Pendant que les grands partis et leurs candidats s’envoient les scandales à la figure et s’entredéchirent à coups de communication sur les réseaux sociaux et dans les médias traditionnels, les autres poursuivent leur campagne en essayant de se faire entendre par les Nigérians qu’une troisième voie est possible en dehors du PDP et de l’APC.

La jeunesse veut se faire entendre

Alors que les deux principaux candidats qui s’affrontent sont des gérontocrates et des vétérans de la politique nigériane, l’électorat est à l’opposé largement composé de jeunes. Des jeunes qui, dans le meilleur des cas, vivent de petits boulots dans les grands centres urbains du pays, et dans les pires des cas sont sans emplois et en proie à toutes sortes de difficultés pour vivre. A 70 ans, Bola Tinubu, est un richissime. A 76 ans, Atiku Abubakar est tout aussi un richissime. Ironie de l’histoire, c’est un électorat constitué de pauvres à une écrasante majorité qui est appelé aux urnes pour élire son Président de la République.

Le Nigeria est un pays où l’on estime qu’au moins 60% de sa population a moins de 25 ans. Les jeunes sont donc l’avenir du pays et leurs préoccupations devraient être au centre des programmes de tous les candidats. Or, ces jeunes sont les laissés pour compte des projets de société depuis plusieurs décennies déjà. Ils sont manifestement lassés par une classe politique de plus en plus vieillissante et qui a du mal à se renouveler, parce que l’argent est un pendant déterminant dans tous les scrutins au Nigeria et dans la politique plus qu’ailleurs en Afrique de l’Ouest. Mais entre les jérémiades et les récriminations, les mêmes jeunes sont malheureusement les premiers à courir derrière les sacs de riz e les liasses de Naira, la monnaie nigériane, pour ensuite aller crier à la corruption et de mauvaise gouvernance.

A défaut de pouvoir changer quelque chose au sommet de l’Etat, les jeunes ont trouvé leur champion en la personne de Peter Obi pour lancer un message très clair. La popularité dont il bénéficie auprès de la jeunesse en dit long. Et comme outre le Président de la République, il faut élire aussi les Gouverneurs et les Députés, il faut espérer un début de changement. Mais encore faudrait-il que les jeunes ne se contentent plus de se plaindre et qu’ils s’organisent aussi pour aller voter massivement. En comparaison avec la Présidentielle de 2019, le taux de participation était de 33%. Avec une telle mobilisation, les jeunes ne risquent pas trop d’émouvoir les vieux qui dominent la scène politique au Nigeria.

En attendant une nouvelle aube pour le Nigeria

Le Nigeria n’est pas seulement un géant en Afrique de l’Ouest. Il demeure un géant aussi dans toute l’Afrique. Même si l’on continue toujours à le considérer comme un « colosse aux pieds d’argile ». C’est le plus grand pays du continent dont la population avoisine près de 219 millions d’habitants en 2022. En dépit de ses énormes potentialités et de son importante population de jeunes, il peine à résoudre jusqu’à certains de ses besoins les plus fondamentaux. On a beau vanter le dynamisme et l’innovation qu’on peut y observer, le développement de son économie dont le PIB par habitant a considérablement régressé en comparaison de la tendance dans les années 1970 est un sujet de préoccupation majeure. Malgré ses richesses en hydrocarbures, le pays a toujours du mal à assurer son autosuffisance. Il en est de même de l’agriculture, un secteur-clé pour tirer vers le haut tous les autres. La fourniture de l’énergie électrique nécessaire au fonctionnement de toute activité et particulièrement cette des entreprises reste toujours un boulet pour les autorités nigérianes. Bien des années après les chansons critiques de l’inénarrable Fela Anikulapo Kuti, la NEPA n’a pas beaucoup changé. Et les coupures électriques sont toujours récurrentes. Comble de tout, selon “Foreign Policy”. : « Le Nigeria détient la palme douteuse de l’économie dont le PIB en dollars par kilowatt de capacité du réseau électrique est le plus élevé. Palme qui témoigne à la fois du talent d’improvisation des Nigérians et de l’incapacité du pays à construire des infrastructures. Ce grand producteur de pétrole qui ne possède pas de capacité de raffinage adéquate et qui produit une bonne partie de son électricité en brûlant du diesel importé ne tire, et c’est peu dire, pas le meilleur de ses possibilités ».

Les dossiers qui attendent le nouveau Président de ce géant de l’Afrique sont nombreux et divers. Parmi eux, l’un des plus important est la lutte contre Boko Haram et tous les autres mouvements terroristes ou jihadistes ainsi que l’insécurité légendaire qui colle au Nigeria depuis fort longtemps. Inutile de dire que l’insécurité grandissante que l’on observe actuellement en Afrique de l’Ouest est, en grande partie, due au fait que le Nigeria ne parvient pas à transcender ses clivages sociopolitiques internes pour assumer son rôle de « Big Brother ». Comme quoi, entre Bola Tinubu, Peter Obi, Atiku Abubakar et tous les autres, celui à qui les Nigérians auront confié la responsabilité de conduire ce pays n’aura rien fait s’il ne fait pas se lever une Aube nouvelle. En tout cas, pour peu qu’il ait l’ambition d’écrire une grande page dans les annales de l’Histoire du Nigeria.

Par Daniel Yaoni

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