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GEOPOLITIQUE/MALI-RUSSIE: Discours à l’ONU : Décryptage des sous-entendus et stratégies politiques de mobilisation

A l’occasion de la première visite officielle au Mali, le mardi 07 février 2023, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov et le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop en train d’immortaliser l’amitié russo-malienne à travers une poignée de main
A l’occasion de la première visite officielle au Mali, le mardi 07 février 2023, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov et le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop en train d’immortaliser l’amitié russo-malienne à travers une poignée de main.

A l’occasion de la 77ème Session de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, le Colonel Abdoulaye Maiga, Premier ministre PMI, Chef du Gouvernement du Mali, a tenu un Discours suivi de débat général qui restera dans les mémoires des Africains et de la Communauté internationale comme un tournant  dans les relations de ce pays avec la France, son ancienne puissance colonisatrice. Mais si ce discours est tonitruant, il comporte moins d’évidences objectives au-delà des accusations. Décryptage.

Peu après les formalités s’usages concernant les salutations, le Colonel Abdoulaye Maiga, Premier ministre par Intérim, n’a pas fait dans la dentelle pour le reste. D’emblée, il a attaqué le dossier brûlant du moment entre la Côte d’Ivoire et le Mali en ces termes : « L’amitié reposant sur la sincérité, souffrez que je vous exprime mon profond désaccord suite à votre récente sortie médiatique, au cours de laquelle vous prenez position et vous vous exprimez sur l’affaire des 46 mercenaires ivoiriens, qui est une affaire bilatérale et judiciaire, entre deux pays frères. C’est évident, que la qualification judiciaire des infractions liées à cette affaire ne relève pas des attributions du Secrétaire Général des Nations Unies. Au Mali, notre administration ne travaille pas sur la base de l’oralité, ni des déclarations par voie de presse, par conséquent, nous nous en tenons scrupuleusement à la Note Verbale de la MINUSMA, référence : MINUSMA/PROT/NV/226/2022 du 22 Juillet 2022, dans laquelle, il ressort clairement qu’il n’existe pas de liens entre les 46 mercenaires et les Nations Unies. Les récentes synchronisations des actions et l’harmonisation des éléments de langage consistant à faire passer le Mali de statut de victime à celui de coupable dans cette affaire des mercenaires, sont sans effets ».

Concernant cette affaire qui n’en finissait pas d’empoisonner les relations entre ces deux pays frères d’Afrique de l’Ouest, liés et par la géographie et par l’Histoire, la junte militaire au pouvoir a cru tenir là u excellent moyen de pressions sur son géant voisin voué aux gémonies par les putschistes de Bamako. Lesquels se sont découvert des destins de rédempteurs de l’ancien Empire du Mali et de pionniers de la libération de la sous-région de l’influence française.

Au Présidence en exercice de la CEDEAO

Le Président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló, qui venait d’être élu président en exercice de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), n’aura même pas eu le temps de souffler sur son fauteuil. L’adresse aura été formelle et sans ménagement. Comme si la junte militaire au pouvoir au Mali qui ne tient son pouvoir d’aucune légitimité populaire voulait donner des leçons de gouvernance et de codes de bonne conduite à un Président de la République d’un pays de la communauté dont elle fait partie intégrante qui lui, par contre, a été élu selon les normes démocratiques et la volonté de son peuple. 

Le Colonel Abdoulaye Maiga, désignant le Président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló, a déclaré notamment : « A l’endroit du Président en exercice de la CEDEAO, M. Umaro Sissoco Embalo qui affirme : « on vient de voir avant-hier, la déclaration du Secrétaire Général des Nations Unies qui dit que ce ne sont pas des mercenaires. Moi à la place des maliens, j’aurai relâché ces 49 soldats ».Je voudrais très respectueusement signifier à ce dernier qu’il existe un principe de subsidiarité, d’ailleurs aux contours flous, entre la CEDEAO et les Nations Unies et non un principe de mimétisme. Egalement, il est important de lui préciser que le Secrétaire Général des Nations Unies n’est pas un Chef d’Etat et le Président en exercice de la CEDEAO n’est pas un fonctionnaire. Par conséquent, il serait indiqué qu’il ne banalise pas la CEDEAO. Enfin, il est utile de rappeler, au Président en exercice de la CEDEAO, qu’au Mali, les autorités n’interfèrent pas dans les dossiers judiciaires et respectent l’indépendance de la Justice. Donc, nous n’avons pas vocation à interpeller ou relâcher, ceci relève de la fonction judiciaire. Aussi, M. Umaro Sissoco Embalo doit être conscient du fait qu’il est le dépositaire d’un lourd héritage et de plusieurs sacrifices qui ont fait la renommée de cette Organisation. La dynamique ayant fait la grandeur de la CEDEAO ne doit pas être brisée. Par ailleurs, nous avons pris acte de la menace de sanctions proférée contre le Mali, et loin d’être impressionné par des sanctions, je voudrais signaler au Président en exercice de la CEDEAO, qu’à la fin de son mandat, les peuples ouest-africains le jugeront sur les efforts qu’il a fournis pour améliorer les conditions de vie des populations et non des show médiatiques servant des agendas étrangers ».

Au Président Mohamed Bazoum du Niger

Le Mali et le Niger sont bien plus que des pays voisins. Il suffit pour cela de regarder les populations qui composent les deux pays et leurs proximités à maints égards. Le Président Mohamed Bazoum du Niger n’a jamais fait de mystère sur le fait que le pouvoir politique doit s’acquérir et s’exercer par les urnes. On se souvient du reste que, face à la crise sociopolitique au Mali, sur fond de coups d’Etats, il ne s’était pas fait prier pour déclarer à l’occasion d’un sommet avec son homologue français Emmanuel Macron à Paris : « Il ne faut pas permettre que les militaires prennent le pouvoir parce qu'ils ont des déboires sur le front où ils devraient être et que les colonels deviennent des ministres ou des chefs d'État (…) Qui va faire la guerre à leur place ? Ce serait facile si chaque fois qu'une armée de nos pays a un échec sur le terrain, elle vient prendre le pouvoir ! C'est ce qui s'est passé par deux fois au Mali (...) Ce ne sont pas des choses acceptables ».

Mais de là, qu’un gouvernement d’un pays voisin et frère, en l’occurrence celui de la junte militaire présidée par le Colonel Assimi Goïta, décide de s’en prendre au Président Mohamed Bazoum, cela peut bel et bien arriver. Mais l’in ne peut qu’être surpris, quant au lieu de parler de sa politique, un gouvernement parle non pas de la Nationalité du Président de la République du pays voisin mais plutôt de ses origines.

« A l’endroit de M. Bazoum, il remarquera que le Gouvernement de la Transition n’a pour le moment jamais réagi à ses propos injurieux pour deux raisons cumulatives. La première raison tient au respect de l’héritage laissé par nos ancêtres, qui consiste à ne pas répondre aux injures par des injures. La seconde raison relève de l’identité de M. Bazoum, l’étranger qui se réclame du Niger. Nous savons que le peuple nigérien frère du Mali, se distingue par des valeurs sociétales, culturelles et religieuses très riches. M. Bazoum n’est pas un nigérien, son comportement nous réconforte totalement dans notre constat ».

Tous les Nigériens savent que le Président Mohamed Bazoum est de Nationalité nigérienne. Mais qu'il est de’ origines qui ne soient pas du Niger, il n’y a pas matière à attaque personnelle. Combien de Maliens de Nationalité ont des origines maliennes pourraient-on rétorquer. En reprenant l’antienne d’une certaine opposition nigérienne à son compte, le gouvernement de Transition a fait une sortie de route qui est allé trop loin. Et il pouvait s’en priver sans que cela n’entame son animosité vis-à-vis du Président Mohamed Bazoum.

A propos de la France et la lutte contre le terrorisme

« Le monde se souviendra qu’après avoir été abandonné en plein vol, le 10 juin 2021, par la France qui a décidé unilatéralement de retirer la force Barkhane du Mali, mon pays a été ensuite poignardé dans le dos par les autorités françaises. La précision est d’autant plus utile que nous refusons tout amalgame avec le peuple français que nous respectons.

Les autorités françaises profondément anti-françaises pour avoir renié les valeurs morales universelles et trahi le lourd héritage humaniste des philosophes des lumières, se sont transformées en une junte au service de l’obscurantisme.

Obscurantisme de la junte française nostalgique de pratique néocoloniale, condescendante, paternaliste et revancharde, qui a commandité et prémédité des sanctions inédites, illégales, illégitimes et inhumaines de la CEDEAO et de l’UEMOA contre le Mali. Après plus de 10 ans d’insécurité ayant fait des milliers de morts, autant de réfugiés et de déplacés internes, n’est-ce pas un sacrilège de mettre une population malienne victime de l’insécurité dans un pays enclavé sous embargo pendant 7 mois, en procédant à la fermeture des frontières et la saisie des comptes financiers du Mali ?

Grâce à sa résilience et à la solidarité de pays amis et des peuples africains, le Peuple malien a tenu et a déjoué les pronostics de ses adversaires.

Obscurantisme de la junte française qui s’est rendue coupable d’instrumentalisation des différends ethniques, en oubliant si vite sa responsabilité dans le génocide contre les Tutsis au Rwanda, coupable également de tenter désespérément de diviser les maliens enfants d’une même famille.

Enfin, obscurantisme de la junte française, qui a violé l’espace aérien malien en y faisant voler des vecteurs aériens tels que des drones, des hélicoptères militaires et des avions de chasse, plus d’une cinquantaine de fois, en apportant des renseignements, des armes et munitions aux groupes terroristes.

Afin de se donner une bonne conscience, la junte française accuse le Mali de n’avoir pas été reconnaissant, en se gargarisant de la mort regrettable de 59 soldats français au Mali, lors de diverses opérations de lutte contre le terrorisme. A cette triste accusation, nous rappelons que dans la majorité des interventions d’officiels maliens et des cérémonies, nous rendons systématiquement un hommage à l’ensemble des victimes de l’insécurité au Mali sans distinction de nationalité, donc, y compris les 59 français décédés. Aussi, nous les invitons à ne pas s’arrêter en si bon chemin et de remonter le temps, en passant par leur intervention en Libye décriée par toute l’Afrique, sans oublier la participation forcée des milliers d’Africains à la 1ère et la seconde guerre mondiale, sans oublier la traite négrière qui explique l’essor économique de beaucoup de pays. Combien d’Africains sont-ils morts pour la France et le monde libre dans lequel nous sommes ? »

Les accusations et les attaques en règle sont sans appel. A tort ou à raison. La France a, très certainement, sa part de responsabilités dans les situations évoquées. Mais il est malhabile de le faire sans discernement. Ou encore à des fins inavouées lors même qu’il ne s’agit que par pur populisme.

L’Empire du Mali et l’évocation du passé

On peut noter plusieurs références au passé malien à travers notamment l’un de ses plus célèbres personnages de l’histoire contemporaine comme Amadou Hampâté Ba. Ou encore l’évocation de l’Empire du Mali, de Soundiata KEITA, de la Charte de Kouroukanfouga. « Dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, le Gouvernement du Mali est fortement interpellé sur la question des droits de l’homme. Je tiens à souligner que les droits de l’homme, constituent avant tout des valeurs qu’incarne chaque malien. Aussi, le Gouvernement du Mali reste déterminé à les respecter et à les faire respecter, conformément à sa politique de tolérance zéro contre l’impunité. Et cela, par fidélité à nos valeurs ancestrales inscrites dans la Charte de Kouroukanfouga proclamée en 1236 par l’Empereur du Mali Soundiata KEITA. Le Mali, berceau de grandes civilisations, héritier de grands empires, terre de brassage, d’hospitalité et de tolérance, fait de la promotion et de la défense des droits de l’homme une priorité nationale. C’est pourquoi, je réaffirme avec force que les opérations militaires des Forces de défense et de sécurité du Mali sont conduites dans le strict respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire ».

Nul ne conteste la grandeur passée du Mali et ne s’oppose non plus à ce que celle-ci inspire les gouvernants actuels. Elle ne doit pas servir seulement à se donner bonne conscience pour justifier des agissements au nom du Mali et qui sont bien loin de faire l’unanimité. Mieux, le passé glorieux du Mali ne doit pas servir de lénifiant ou de caution sur les exigences des Maliens vis-à-vis de ceux qui les gouvernent.

La référence à la Russie se passe de commentaire

Rencontre entre les représentants du ministère des Affaires étrangères du Mali et la délégation du ministère des Affaires étrangères de la Russie
Rencontre entre les représentants du ministère des Affaires étrangères du Mali et la délégation du ministère des Affaires étrangères de la Russie.

Personne ne doute que les « vaillantes Forces de Défense et de Sécurité du Mali restent déterminées à faire face à toutes les menaces, d’où qu’elles viennent sous l’impulsion de Son Excellence le Colonel Assimi GOITA, Président de la Transition, Chef de l’Etat, le Gouvernement du Mali ». Personne ne doute non plus que les mercenaires russes du groupe Wagner coopèrent avec la junte militaire au Mali. Mais ce dont il est permis de douter, c’est que les Maliens soient effectivement au courant des termes ou conditions des relations qui lient les autorités de Bamako à Moscou ainsi qu’au groupe Wagner. Et cela, on a beau être hostile à la France, on ne saurait priver les Maliens de leurs droit à savoir. D’autant plus que l’on suppose que c’est pour les mêmes raisons de transparence que la junte militaire a demandé à la France de plier armes et bagages du Mali avec da Force Barkhane.

« Devant l’incertitude et les situations étrangères, le peuple malien adopte une attitude prudente, c’est ce que l’écrivain et le sage Amadou Hampâté Ba, met en relief, en conseillant dans l’étrange destin de Wangrin que : « Si observer est une qualité, savoir se taire préserve de la calamité ». Mme le Ministre de la junte française, le Mali vous conseille de vous contenter d’observer sa situation.

C’est l’occasion pour moi de saluer les relations de coopération exemplaire et fructueuse entre le Mali et la Russie, tout en réaffirmant que le Mali reste ouvert à tous les partenaires qui souhaitent l’aider à relever les multiples défis qui l’assaillent, dans le respect strict de sa souveraineté, de son unité et de la dignité du peuple malien.

Le Mali rappelle que conformément à la Vision du Colonel Assimi GOÏTA Président de la Transition, Chef de l’Etat, 3 principes guident l’action publique nationale :

  1. Le respect de la souveraineté du Mali ;
  2. Le Respect des choix stratégiques et de partenaires opérés par le Mali ;
  3. La prise en compte des intérêts vitaux du peuple malien dans les décisions prises.

En application de ces principes, le Mali reste disposé à poursuivre et à renforcer ses relations de bon voisinage avec l’ensemble des pays qui l’entourent. De même, le Mali, fidèle à son engagement panafricain, continuera à œuvrer au sein des organisations sous régionales et régionales pour la réalisation de l’intégration africaine.

Egalement, l’atteinte des objectifs de la Transition, requiert l’accompagnement de l’ensemble des partenaires du Mali, y compris les Nations Unies. J’en appelle donc aux amis du Mali à rester mobilisés aux côtés du Gouvernement en vue de l’aider à relever ensemble ces défis importants.

Pour la grande majorité des Etats du Monde, convaincus par le respect mutuel et le partenariat gagnant-gagnant, je leur garantis que les portes du Mali leur sont grandement ouvertes et les maliens les accueilleront les bras ouverts.

Pour la minorité qui serait tentée de ne pas respecter ces principes, nous leur promettons qu’ils feront face à des millions de « Assimi Goïta », soucieux de défendre leur honneur, leur dignité et leurs intérêts vitaux. Je terminerai, en donnant deux conseils aux nostalgiques de la domination : ayez le sens de l’empathie en « Traitant les autres comme vous voudrez être traité » ou en « Ne faisant pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse ». Le second conseil, revoyez vos copies, revoyez vos modèles, revoyez vos logiciels pour intégrer le changement de mentalités et l’évolution du monde dans vos grilles de lecture et d’analyse, sortez du passé colonial et entendez la colère, la frustration, le rejet qui remontent des villes et campagnes africaines, des populations africaines, et comprenez que ce mouvement est inexorable. Grâce au principe de la multiplication fractale, vos intimidations et vos actions subversives n’ont fait que grossir le rang des africains soucieux de préserver leur dignité, s’ils n’étaient qu’une centaine aux indépendances, aujourd’hui, nous sommes des millions et demain, tant que les paradigmes inégalitaires demeureront, nous serons des milliards. Le Mali et son peuple ne seront pas des spectateurs face aux assauts et l’adversité : pour chaque mot employé de travers, nous réagirons par réciprocité, pour chaque balle tirée contre nous, nous réagirons par réciprocité ».

Le rapprochement de la junte militaire au Mali avec la Russie n’est pas uniquement dû à ce que l’on pourrait qualifier d’agissements de la France au Mali ou dans ses anciennes colonies. Il s’arc-boute sur une stratégie qui obéissait au départ à la volonté des militaires de s’éterniser au pouvoir. Laquelle a été contrariée et par les exigences de la CEDEAO et des partenaires extérieurs parmi lesquels la France. Par conséquent, la coopération militaire et de la présence des mercenaires russes du groupe Wagner, le renforcement de l’axe Bamako-Moscou vise surtout à s’assurer une assurance-vie au-delà de la Transition politique. Sans respecter les exigences et de la CEDEAO et de ‘Union africaine en matière de processus démocratique. En s’accordant un processus alternatif à la Vladimir Poutine de Russie. Sauf que le Mali est un pays membre de la CEDEAO. Le processus de Transition au Mali devra prendre fin le 26 mars 2024, avec le retour à un Président de la République civil élu par l’ensemble du peuple malien. Et cela devra se faire conformément aux chronogrammes convenus avec la CEDEAO.

Par Tcha Sakaro

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