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CULTURE/Histoire : La momie noire de Uan Muhugiag en Libye

Les Sites rupestres du Tadrart Acacus, Patrimoine mondial de l'UNESCO
Les Sites rupestres du Tadrart Acacus, Patrimoine mondial de l'UNESCO.

L’assèchement progressif ou rapide du Sahara anciennement verdoyant a donc fonctionné comme une pompe de refoulement des populations nomades-pasteurs du Sahara vers les grands points d’eau permanents. Le seul dans cette région demeure le Nil et ses différents affluents. On peut vraisemblablement émettre l’hypothèse que ce sont les héritiers de ces peuples négro-africains dont on retrouve les traces partout, depuis les pétroglyphes du désert du Sinaï jusqu’aux poteries et autres silex de Nabta Playa en passant par les peintures rupestres de l’Acacus, qui se sont rassemblés autour du Nil, avec l’assèchement du Sahara. 

En 1958, l’Italien Fabrizio Mori fit une surprenante découverte dans un abri rocheux de Uan Muhugiag dans la région de l’Acacus. Il s’agit de la momie d’un enfant noir, âgé de deux ans et demi environ. Cette découverte qui eut lieu dans la région de l’Acacus dans le désert en Libye venait ainsi bouleverser du coup les connaissances scientifiques à propos de la momification. Car avant, tous les chercheurs considéraient l’Égypte comme le berceau de la momification. Et voilà qu’une nouvelle découverte attestant d’une momification dont l’antériorité dépassait de mille ans l’égyptienne dans la maîtrise de cet art, surgissait du désert et changeait la donne. Pour le Dr Joann Flechter, égyptologue et experte en momification : « C’est une forme de momification vraiment sophistiquée. La momie noire est de façon évidente le superbe résultat d’un art très poussé de ce procédé »

On connaissait cette région de l’Acacus pour ses célèbres peintures et sculptures. Et surtout pour sa fameuse sculpture à tête de chacal (ou chien) et ses nombreuses poteries qui indiquaient que le site fut occupé à une époque donnée par un peuple négro-africain. Ces témoignages historiques gravés sur des parois rocheuses signalaient aussi sans équivoque la présence de bétail, notamment des bovins et des chèvres. Mais personne ne se doutait de la découverte de la momie noire sur laquelle l’unanimité est dorénavant faite quant à la sophistication inhérente à son processus de réalisation. Encore moins concernant sa datation jusqu’à 5 500 ans.

La momie de l’enfant était soigneusement emballée dans une peau d’antilope, le corps en position fœtale, un collier fait d’œufs d’autruche au cou ; le tout recouvert de feuilles et bien conservé. Pour en avoir le cœur net, l’équipe de chercheurs italiens dut alors envoyer la momie à Rome en Italie afin de faire procéder à des analyses. Et les conclusions tombèrent, sans appel : le corps de l’enfant fut éviscéré, les organes internes enlevés et il reçut un traitement artificiel spécifique pour être conservé. Il s’agit purement et simplement d’une momification. La datation au Carbonne 14, quant à elle, révéla qu’elle eut lieu près de 3 400 ans avant Jésus-Christ. 

Au fil des décennies, de nouvelles recherches sur l’histoire de la petite momie noire de Uan Muhugiag en Libye furent effectuées. Elles eurent l’avantage d’apporter de nouveaux éclaircissements, notamment sur l’environnement dans lequel vivait le peuple qui réalisa cette momification, mais également ses rapports aux autres peuples. De ces travaux complémentaires, on apprit que ce désert libyen ne le fut pas toujours. Il fut arrosé de cours d’eau et de lacs intérieurs, et pourvu de gibiers ainsi qu’en témoignaient les sculptures et gravures que les occupants laissèrent sur leur passage. Au demeurant, cette région servit de réceptacle et de point de métissage pour des peuples Noirs d’Afrique et Blancs de Mésopotamie et du Moyen-Orient. Un point de rencontres et d’échanges qui se prolongèrent plus tard vers la Vallée du Nil quand la région fut sévèrement frappée de désertification entre le VIIe et le VIe millénaire avant Jésus-Christ. 

Du reste, ils sont légion aujourd’hui les chercheurs qui pensent que la civilisation égyptienne est en partie héritière de ce peuple qui momifia l’enfant de l’abri rocheux de Uan Muhugiag. Certaines des représentations et dans l’art et dans le rituel de l’Égypte antique renvoient en effet aux premières formes qui étaient déjà connues de ce peuple dont on ne sait malheureusement pas grand-chose. Sinon qu’il connaissait la momification, célébrait des rituels pour implorer la pluie en sacrifiant ce qu’il avait de plus cher dans des tas de pierres en cercle : les bovins. La découverte de la momie du petit enfant aura permis de révéler une culture spécifiquement négroafricaine très ancienne et jusque-là méconnue. 

Dr Savino di Lernia de l’Université de Rome – La Sapienza, le successeur de Fabrizio Mori a pour sa part approfondi les recherches afin d’essayer d’éclaircir le lien que ce peuple saharien a pu avoir avec l’autre peuple établi dans la Vallée du Nil à cette époque. Avec le Dr Nick Brooks de l’Imperial College de London, ils revisitèrent l’Oued Mathendous où devait exister un lac paléolithique, mais qui est un site étonnant d’art rupestre. Pour confirmer que le peuple saharien de Uan Muhugiag a migré vers la Vallée du Nil en y apportant ses traditions, le Dr Savino di Lernia va se lancer à la recherche de preuves. 

Ses découvertes dans la plaine du Messak le conduisirent à la découverte d’une culture inhérente au culte de bétail. Ils priaient et sacrifiaient des vaches pour implorer la pluie autour d’un monument sous forme de cercle de pierres. Pour lui, c’est la preuve manifeste qu’il y a une relation entre la momification et le culte du bétail chez les anciens peuples sahariens ainsi que leur apparition chez les Égyptiens anciens. Autre fait tout à fait significatif quant à cette relation, la découverte d’un homme portant un masque de chien de plus de 5 500 ans et bien antérieure de 1 000 ans à Anubis dans l’Égypte antique. Or Anubis est non seulement le plus ancien attribut royal, mais aussi le dieu de l’embaumement et le gardien des morts. Il s’agit là du même symbole de masque que portaient les prêtres chargés des rituels qui devraient permettre au mort de renaître lors de la momification en Égypte antique. 

Par Marcus Boni Teiga

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