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BENIN Législatives 2023 : Un seul parti d’opposition en lice… pour quel crédit démocratique ?

Depuis l’avènement au pouvoir du Président Patrice Talon au Bénin, le pays a fait une grave sortie de route d’un point de vue démocratique, avec l’exclusion de tous les partis politiques qui lui sont opposés des joutes électorales. Concernant les Législatives de janvier 2023, un seul parti d’opposition, Les Démocrates, à été autorisé à se présenter. Exclu dans un premier temps, il a été repêché in extremis, pour des raisons que le régime de Patrice Talon est le seul à savoir. Mais quel crédit démocratique accordé auxdites élections législatives ?

« Oui. Nous l’espérons parce que cela devient visible et cela gêne la conscience collective que, à chaque fois qu’il y a élection, c’est toujours l’opposition qui a des ennuis. Cela devient gênant. Et nous pensons que nos dirigeants devraient en tenir un peu compte pour décrisper l’atmosphère sociale, et surtout pour soigner un peu le visage de notre pays à l’international, parce que ça prouve qu’il n’y a que l’opposition qui ne sait pas faire. C’est gênant. De toute façon, nous, nous pensons que d'ici à ce soir, demain avant le dépôt des dossiers, nous trouverons le consensus ». Ainsi répondait Komlan Léon Ahossi, deuxième Vice-président du parti Les Démocrates à la question à lui posée par RFI de savoir si, après avoir été écarté des Législatives passées, il espérait que l’Opposition pourrait se présenter aux élections pour ce second mandat du Président Patrice Talon. Et il a eu raison d’espérer.

Seulement voilà : à y regarder de près, pour ces Législatives, c’est moins le fonctionnement normal de la machine électorale du Bénin qui a permis de gérer et dénouer le blocage de la participation du seul parti d’opposition en lice. Cela a été surtout le fait de la volonté du Prince qui gouverne le pays.

Lorsque la Commission électorale nationale autonome (CENA) a publié le 16 novembre la liste des partis ayant obtenu les récépissés définitifs pour les législatives du 8 janvier prochain, le parti Les Démocrates n’en faisait pas partie intégrante. Sa liste ayant été invalidée pour défaut de quitus fiscal de quatre de ses candidats. Une faute que ce parti avait directement imputée à l'administration financière aux ordres. Mais un recours déposé devant la Cour constitutionnelle a permis de lever le handicap après que l'administration financière a finalement reçu des instructions du plus haut sommet de l’Etat pour rectifier le tir. Sans doute sous la pression internationale qui ne pouvait plus fermer les yeux sur l’organisation des Législatives une deuxième fois, sans la participation d’un parti de l’opposition.

En effet, hormis les deux grands blocs constitués sous la houlette du Président Patrice Talon lui-même, à savoir le Bloc Républicain (BR) et de l'Union Progressiste (UP) et rebaptisé pour l’occasion des Législatives en l'Union Progressiste Le Renouveau (UPR) à la suite de sa fusion avec l’ancien Parti du renouveau démocratique (PRD) de Me Adrien Houngbédji, on ne saurait considérer les autres partis comme de l’Opposition. S’ils ne sont pas des partis satellites du régime du Président Patrice Talon comme le Mouvement des Elites engagées pour l'émancipation du Bénin (MOELE-Bénin) et l'Union Démocratique pour un Bénin Nouveau (UDBN), ils sont inféodés au régime comme le parti Force Cauris pour un Bénin Emergent (FCBE) et le Mouvement Populaire de Libération (MPL). 

Quel crédit démocratique accordé aux Législatives de 2023 ?

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C’est un secret de polichinelle que depuis 2016, Patrice Talon a remis en cause le système sociopolitique basé sur les principes démocratiques que le Bénin s’était réapproprié depuis la Conférence nationale de février 1990. Tant bien que mal, le pays faisait son petit bonhomme de chemin avant qu’il ne soit interrompu par l’avènement au pouvoir de cet homme d’affaires qui s’est reconverti en politique. Mais en faisant de fausses promesses électorales aux Béninois pour y arriver. 

En faisant condamner et jeter en prison ou en faisant exiler ses principaux opposants qui ne voulaient pas se plier à ses desiderata ou qui gênait ses affaires, Patrice Talon a réussi un véritable hold-up et sur le Bénin en décapitant sa démocratie. Tous ceux qui étaient susceptibles de gêner sa volonté de faire main basse sur le pays ont été écartés ou mis au pas. Ainsi, le régime Talon a installé une Assemblée nationale constituée à cent pour cent de ses propres partisans ou affidés. L’assemblée nationale élue en 2019 n’a été qu’une véritable caisse de résonnance et une caisse d’enregistrement de la volonté du chef de l’Etat.

Avec la participation de l’unique parti véritablement de l’opposition, en l’occurrence Les Démocrates, ils sont nombreux à espérer un changement de la configuration de cette précédente Législature dont les membres ne représentaient en réalité que leur chef, Patrice Talon, et non le peuple béninois dans ses composantes et opinions diverses. Même s’ils sont nombreux les Béninois à condamner que, par des subterfuges politiques, plusieurs autres formations politiques aient été écartées des élections législatives censées être plus inclusives pour représenter tout le peuple. 

Eric Houndété, Vice-président de la Septième législature et président actuel du parti Les Démocrates disaient en 2019: « Premièrement, il n’y a pas eu une nouvelle Assemblée parce que ce qui est là et qu’on appelle Assemblée est illégitime et illégale. Ensuite, les gens dont on parle, qui sont installés dans ces conditions, ont les mains liées (...) tant qu’il n’y a pas une Assemblée nationale pour le peuple, nous considérons qu’il n’y a point d’Assemblée ». Aussi, les Béninois s’en sont donnés à cœur joie en qualifiant les députés de la mandature sortante de tous les noms du possible : la « Grande honte » du pays, « Les Déshonorables » en opposition à « Honorables », le « Conseil d’administration de Patrice Talon », « Députés Kpayo » parce qu’ils ne sont pas bien élus et comparés à l’essence frelatée de contrebande du Bénin appelée « Kpayo », « Députés godillots et illégitimes », etc. A signaler que lors des dernières législatives du 28 avril 2019 pour lesquelles l’ensemble des partis d’opposition avaient été exclues, la Commission électorale nationale autonome (CENA) avait déclaré un taux de participation de 22,99 seulement sur l’ensemble du territoire national. Un boycott sans appel des électeurs béninois qui avaient, à l’occasion, suivi les consignes et affirmé leur engagement au respect des principes démocratiques. Car, dans une démocratie, les Représentants du peuple en sont l’expression

En octobre 2019, un séminaire parlementaire a été organisé avec les 83 députés de la huitième législature à Cotonou sur le thème: « Enjeux et défis de la 8e législature de l’Assemblée nationale du Bénin ». A cette occasion, Nassirou Arifari Bako, député et ancien ministre des Affaires étrangères du Président Thomas Boni Yayi, s’était posé les questions suivantes : « Est-il acceptable qu’un quart du corps électoral élise les membres d’une représentation nationale dans un pays, quelles que soient les circonstances du moment ? Comment avoir une minorité de blocage dans un parlement monocolore ? Comment envisager la question de la représentation pour des élus issus d’un tel processus avec le divorce relatif d’avec l’électorat ? » Et il en a déduit que : « Si l’abstentionnisme est l’expression de l’adhésion des électeurs à la cause des « exclus », alors, la thèse de l’usurpation électorale semble plausible. Si par contre, l’abstentionnisme est le fait de l’indifférence, alors on peut affirmer que les élus ont la légalité mais souffrent d’un déficit de légitimité qu’un bon exercice de la fonction de représentation peut permettre de corriger avec le temps ». En effet, le Parlement étant le lieu par excellence où le peuple se sent le plus représenté, il appartient donc au peuple et à lui seul, à travers son expression souveraine dans les urnes, de désigner ses représentants qu’il s’est librement choisi au sein du peuple pour le représenter à l’Assemblée nationale. Nul ne doit s’arroger ce pouvoir en lieu et place du peuple souverain, au risque de tomber dans l’illégitimité, voire l’illégalité.

Pour reprendre notre confrère Deo Gratias Kindoho : « Comme si les législatives du 8 janvier 2023 n'étaient pas déjà en soi un assez piètre sketch, les satellites du régime dit de la rupture s'affairent à rajouter quelques notes ridicules à l'insipidité. Dans leurs têtes à l'envers formatées pour produire de la magouille, il n'existe pas d'opinion publique nationale. Ils se sont créé un univers parallèle depuis 2016, qui est une bulle illusoire dans laquelle le nombrilisme, la lâcheté et l'abîme moral sont vertus; un univers où la droiture et l'intégrité sont péchés capitaux. Dans cet univers parallèle, il ne doit y avoir de parti politique et de processus électoral qu'à la solde de Patrice Talon, présidant une République démocratique dans le monde réel mais tyran-demi-dieu dans sa bulle, pensant et agissant sans conteste. Si en 2019 il a fait tenir les élections législatives exclusivement avec ses deux partis politiques, il a préféré - aux communales de 2020 et à la présidentielle de 2021 - se trouver des adversaires à sa convenance pour lui servir de faire-valoir. C'était pour assouvir son cynisme et non par scrupule. Celui dont nous parlons n'a aucun scrupule ».

Lors du scrutin du 8 janvier 2023, la grande majorité du peuple béninois a fait un choix exemplaire et sans appel. En accordant massivement son suffrage au seul vrai parti de l’opposition ayant pu se mettre en lice : Les Démocrates. Un choix que ce parti doit considérer non pas comme une adhésion au parti et aux discours de ses dirigeants, mais un choix par défaut en raison du fait qu’il a été le seul admis à y participer. Et de justesse du reste !

En définitive, si le déroulement du processus électoral n’a pas souffert de grandes entorses comme l’ont constaté les observateurs attentifs de la scène sociopolitique béninoise, les résultats ont en revanche été biaisés, entachés d’irrégularités, voire truqués. Comme en attestation un document signé du président de la CENA lui-même. L’on ne pourra par conséquent dire de  ces Législatives de 2023 méritent vraiment un crédit d’élections démocratiques. Quand on sait que Patrice Talon et ses fidèles et autres partisans ont décidé de gouverner le Bénin par la « ruse et la rage » et non par les principes démocratiques, il faudrait attendre les prochaines élections pour « aviser » comme dirait Patrice Talon lui-même. Le Bénin, hier « laboratoire de la démocratie » est devenu « laboratoire de la dictature » depuis 2016. Et, Sacca Lafia, l’ancien ministre de l’Intérieur de Patrice Talon, actuel président du Conseil électoral du Bénin (CEB), qui n’est pas réputé pour son impartialité pour rasséréner les Béninois et les exempter de toute veille citoyenne du début jusqu’à la fin du processus électoral, l’a encore démontré une fois de plus. 

Par Marcel Ahouangan 

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